dimanche, 15 août 2021
L'iconographie du moi
Nos contemporains veulent à toute force se rendre visibles, c’est-à-dire exister par l’image. Il y a dans cette recherche de visibilité une quête d’éternité fugace qui rappelle dérisoirement l’espérance d’une véritable éternité. Les écrans ont remplacé les icônes ; mais ils renouvellent, tout en l’abaissant, la vieille iconographie. Jamais les faux dieux n’ont été aussi nombreux dans un monde déserté par la transcendance. Tout adepte des réseaux sociaux est tenté de se prendre pour un dieu sur son écran, en offrant des images de lui-même à l’admiration des autres. C’est le miroir de soi érigé en icône pour tous.
02:09 Publié dans Psyché | Lien permanent
lundi, 12 juillet 2021
Un libéralisme paradoxal
Que devient le libéralisme ? Il tourne paradoxalement au dirigisme. Du point de vue de l'orthodoxie libérale, un équilibre doit être trouvé entre l'autorité de l'Etat régalien et la responsabilité laissée aux individus. Mais nos Etats libéraux ont pris l’habitude de diriger les individus, y compris dans le domaine des mœurs ou de la vie privée, au lieu de les laisser décider de ce qui est bon pour eux. Au fond, le dirigisme économique a laissé la place à un dirigisme sociétal.
23:11 Publié dans Politie | Lien permanent | Tags : libéralisme
dimanche, 20 juin 2021
Tempêtes et Naufrages
Le musée de la Vie romantique donne à voir l’évolution de la représentation de la tempête dans la peinture européenne de Rubens à Boudin, en passant par Vernet, Valenciennes, Isabey, Turner, Martin et Courbet. Cette évolution est marquée par trois moments clés qui sont aussi des tournants philosophiques ou politiques : la naissance du naufrage comme un genre se détachant de la peinture d’histoire au siècle des Lumières, la dramatisation du naufrage qui fait ressortir la toute-puissance de la nature à l’âge romantique et la sentimentalisation du naufrage à travers la figuration des victimes (influence du socialisme ou du catholicisme social ?) dans la seconde moitié du XIXe siècle.
D’une certaine façon, il y a trois registres ou trois genres en un pour le naufrage : le tragique, le dramatique et le pathétique. En tout cas, on voit bien que l’art de Joseph Vernet consiste à enfermer la mer dans un cadre classique, comparable au théâtre du même nom, tandis que Courbet ou Boudin font éclater ce cadre pour la représenter dans toute la matérialité de ses éléments (le grain, l’écume et l’écueil). De même, la place de l’homme qui reste minuscule dans le naufrage vu par Vernet, Isabey ou Garneray grandit jusqu’à devenir essentielle en éclipsant le phénomène naturel de la tempête comme chez Géricault, Feyen-Perrin ou Luminais. Un humanitarisme esthétisant finit par l’emporter sur l'esthétisation d'une nature déchaînée.
20:32 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art
mercredi, 02 juin 2021
Un grand magasin de jouets
Le règne de l’artifice ne vient pas seulement de la multiplication des artefacts, mais aussi de la déconstruction des idées. Plus rien ne va de soi, donc plus rien n’est naturel. Tout est construit et donc déconstructible. La réalité ou la représentation sociale n’est plus qu’un Meccano auquel peuvent jouer les grandes personnes. La société est devenue un grand magasin de jouets symboliques.
01:00 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : déconstruction
mardi, 18 mai 2021
Une nouvelle ère du soupçon
Les méthodes de contrôle dans les transports publics disent tout de l’époque. Rien ou presque ne distingue les contrôleurs des voyageurs. Ils ont des uniformes à peine reconnaissables et se signalent au tout dernier moment avant leur intervention. Ils empruntent leurs méthodes à celles qu’ont en commun les policiers en civil et les voyous : ils agissent en bande et par surprise en recourant au guet-apens. Ainsi l’usager des transports publics se trouve-t-il virtuellement dans une double position inconfortable : celle du voyageur détroussable et du resquilleur cerné. La société civilisée a changé au point que le soupçon s’étend à tout le monde, y compris l’honnête citoyen. C’est une nouvelle ère du soupçon.
13:56 Publié dans Civilisation | Lien permanent
jeudi, 22 avril 2021
Drieu face à Ocampo
La correspondance de Drieu la Rochelle avec Victoria Ocampo, publiée sous le titre de Lettres d’un amour défunt, nous en dit plus sur l'un que sur l'autre. Celle-ci se montre tout à fois noble, retenue, distante, avec néanmoins des restes d'affection. Quant à celui-là, on y retrouve un Drieu ambivalent, à la fois faible et cynique, sombre et provocateur, blâmable et attachant.
L’amitié amoureuse qui lie les deux écrivains semble à sens unique. Drieu apparaît comme un amoureux éconduit qui a transformé sa déception en amitié, mais une amitié double, amère et spirituelle, de regret et de sublimation. Révélatrice, à cet égard, est la manière fausse – résignée dans le fond, mais cachant mal un reste de désir sexuel – qu’il a de justifier l’amitié dans l’amour et l’amour sans le sexe.
00:02 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : drieu, ocampo
mercredi, 21 avril 2021
De la consolation comme médecine palliative
Etymologiquement, la consolation est un réconfort. Mais donne-t-elle de la force d’âme ou seulement un peu de confort moral ? C’est dans la défaite ou le désespoir qu’elle est nécessaire ; mais elle ne peut changer un caractère ou même retourner une situation. De fait, la consolation apaise plus qu’elle ne renforce ; elle soulage plus qu’elle ne soigne. En cela, elle s’apparente à la médecine palliative.
12:27 Publié dans Médication | Lien permanent
mardi, 02 mars 2021
Plaisir et impudeur
La libération du plaisir – notamment féminin – est une bonne chose en soi et n’a pas être mise en question. En revanche, la liberté du discours sur la sexualité ou simplement l’absence de retenue dans le discours participe de cette décivilisation des mœurs qui s’observe globalement. Ce qui devrait être réservé à l’intime ou, à tout le moins, à un espace circonscrit, est fièrement étalé et abondamment commenté sur la place publique.
La pudeur qui était regardée comme un progrès de la civilisation n’a plus cours et l’impudeur – même si on ne l’appelle plus ainsi – est vue comme progressiste (et, de fait, reconnue comme un nouveau droit). On en arrive même à ce paradoxe que la pudeur, qui était l’apanage des femmes, est devenue celui des hommes dans la mesure où la libération du discours sur le plaisir concerne essentiellement les femmes (l’asymétrie est tout à fait frappante sur ce point). En tout cas, liberté et pudeur pourraient aller de pair ; mais non, l’absence de limites dans le discours fait aller ensemble la liberté et l’indécence.
17:12 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : décivilisation
lundi, 08 février 2021
Ce que devient la correction politique
La nouvelle tendance de l’époque est une radicalisation de la correction politique. Ce qui pouvait être correct dans un sens proche de la politesse a laissé la place à l’expression incorrecte d’opinions libérales ou progressistes. Un radicalisme de type révolutionnaire l’a emporté sur un modérantisme progressiste. Il faut donc arrêter d’employer l’expression « politiquement correct », dont la douceur apparente est contredite par des pratiques de moins en moins civiles.
13:16 Publié dans Politie | Lien permanent
mardi, 12 janvier 2021
Bacon ou la Peinture comme équarrissage
Francis Bacon est le peintre de la métamorphose, de la mutation des corps, de la transmutation des visages. De figurative, sa peinture se fait défigurative ou transfigurative. Ni surréaliste ni hyperréaliste, elle représente généralement un être déformé ou décharné selon une manière qui tient parfois de la radiographie (les portraits en transparence), mais qui, le plus souvent, se situe entre l’anatomie et le dépeçage.
En définitive, le monde selon Bacon est plus près de l’abattoir que du laboratoire, aussi effrayant parfois que la réalité de l’équarrissage, même si l’on n’y voit que des corps humains et non des carcasses d’animaux comme chez Soutine. Il touche par là au monstrueux plus qu’au merveilleux, à l’horrifique plus qu’au fantastique, et le spectateur indulgent cherche à en être fasciné, pour ne pas en être effrayé ou simplement dégoûté.
01:01 Publié dans Jeu de massacre | Lien permanent