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mercredi, 01 novembre 2023

L'au-delà de la peinture de Nicolas de Staël

Une exposition consacrée à Nicolas de Staël, au musée d'Art moderne de la ville de Paris, permet de prendre toute la mesure de l'artiste à travers ses inspirations et ses recherches successives. Tout n’est certes pas égal ou génial dans son œuvre (nombre de tableaux sont d’un déconstructivisme ou d'un minimalisme déconcertant) ; mais il y a la quête continue et comme éperdue d’une forme épurée de la peinture, débarrassée des écoles, des catégories ou des courants antagonistes.

Parmi les différentes périodes du peintre, on peut retenir trois séries tout à fait remarquables : celle sur la côte normande où l’abstraction se confond déjà avec la figuration ; celle sur la Sicile où les couleurs éclatent d’une manière prodigieuse ; celle sur la Provence où le découpage du paysage jusqu'à son point de fuite atteint une forme de perfection. Bien qu’elle tende à l’abstraction, la peinture de Nicolas de Staël trouve dans la représentation de la réalité ou même le genre paysagiste sa plus belle expression.

L'idée du fil du rasoir pourrait convenir à Nicolas de Staël pour caractériser l'entre-deux de sa peinture, toujours entre l'abstraction et la figuration, mais aussi cette manière particulière qu'il a de découper la réalité comme s'il procédait à des collages de formes et de couleurs. En vérité, ce qui paraît relever de la composition ou de la décomposition est plus près de la vision, de la perception extrasensorielle ou de l'intuition fondamentale, comme s'il y avait chez lui un au-delà de la peinture.

01:13 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : de staël

jeudi, 27 octobre 2022

L'Ombre de la mélancolie dans la peinture de Bonnard

Pierre Bonnard est un peintre tout à la fois connu et méconnu du public qui fréquente les musées le dimanche. Il jouit pourtant auprès de lui d’une faveur qui en fait, parmi les modernes, un peintre populaire de second rang, après Monet, Van Gogh ou Picasso.

La raison de cette faveur tient au naturalisme lumineux de ses œuvres et à l’idéal de bonheur qui s’y attache. Evidemment, il y a du vrai dans ce qui relève, sinon d’une légende dorée, du moins pour partie d’une illusion des apparences.

Bonnard qui a rencontré le succès assez tôt n’était pas un homme tout à fait heureux. Il a connu des malheurs intimes, vécu avec une épouse neurasthénique et nourri un complexe artistique à une époque où triomphait l’abstraction. De tout cela, la partie la plus secrète ou simplement intime de sa peinture conserve la trace.

Il doit avant tout sa réputation de peintre du bonheur à ses jardins. Ceux-ci sont conçus comme des havres de quiétude et même des édens hors du temps. Les toiles qui les représentent sont parfois inondées de couleurs comme celles de ses amis nabis (Edouard Vuillard surtout), mais avec une touche nettement plus chaude ou vive qui en fait ressortir l’éclatante luminosité voire une luminescence quasi surnaturelle (comme dans L’Atelier au mimosa, 1936).

Chez Bonnard, l’humanité n’est pas exclue ou séparée d’une nature foisonnante et enchanteresse. Les personnages qui apparaissent parfois, d’une manière discrète ou fantomatique, sont comme Adam et Eve au jardin d’Eden avant la Chute. Ils vivent parmi les arbres et les bêtes dans une harmonie qui peut aller jusqu’à une parfaite symbiose entre les formes humaines et les formes végétales (voir L’Automne ou Les Vendanges, 1912). On songe au genre de la pastorale qui, comme chez Poussin ou Boucher, trouve ses références du côté de l’antique Arcadie plutôt que du côté du Paradis biblique.

L’autre lieu important pour la peinture de Bonnard est la maison qui, au cœur de la campagne normande ou au bord de la Méditerranée, forme le centre d’un domaine clôturé par la couleur. En apparence, il y a un continuum entre l’intérieur et l’extérieur de la maison que symbolise le motif récurrent de la salle à manger donnant sur un jardin (voir notamment Grande salle à manger dans le jardin, 1935). En vérité, il y a une rupture dans la vision du monde qui ne tient pas qu’au rétrécissement et à l’enfermement de l’espace. L’intérieur devient un autre monde où la philosophie du peintre ne semble plus la même que dans ses jardins.

De l’épicurisme, Bonnard passe au stoïcisme, voire à une sorte de nihilisme. Si la chair est présente de bout en bout de son œuvre, à travers le dévoilement du corps de Marthe principalement (la compagne de ses jours), elle devient plus triste d’une période à l’autre. La mise en scène du nu dans des poses très étudiées, au lit ou sur un fauteuil, cède la place à la représentation d’une nudité ordinaire, banalisée par la toilette quotidienne, comme si le corps de la femme avait perdu – depuis le mariage ou les premières manifestations de la neurasthénie de Marthe – tout pouvoir d’érotisation.

L’intimité peinte par Bonnard n’est pas seulement celle du corps, mais aussi et surtout celle de l’âme. Plus que la chambre à coucher, la salle de bains est le lieu de la solitude, de la mélancolie et même de la mort. Les autoportraits du peintre exécutés au miroir, où le visage est généralement ombré et réduit à son ovalité, révèlent à l’évidence une tristesse cachée (particulièrement dans Portrait de l’artiste par lui-même, 1930). La série des tableaux qui montrent Marthe au bain, allongée, figée et comme momifiée (voir notamment Nu dans le bain, 1936), trahit une angoisse ou une obsession de la mort, qu’a sans doute fait naître en Bonnard le suicide d’une maîtresse au lendemain de son mariage.

La peinture était pour Bonnard un refuge contre les bruits du monde et la fureur de la modernité, mais elle ne lui était pas un remède suffisant contre la mélancolie ou la dépression. Cependant, la représentation d’une nature heureuse lui permettait de ne pas sombrer complètement dans le désespoir, et elle fait encore, par la gamme de ses couleurs exceptionnelles, le bonheur jamais démenti du regardeur.

23:55 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : bonnard, mélancolie

vendredi, 24 juin 2022

La meilleure des assurances-vie

L’art est une chose merveilleuse qui peut faire d’une simple signature la meilleure des assurances-vie.

10:56 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : sentences

dimanche, 20 juin 2021

Tempêtes et naufrages

Le musée de la Vie romantique donne à voir l’évolution de la représentation de la tempête dans la peinture européenne de Rubens à Boudin, en passant par Vernet, Valenciennes, Isabey, Turner, Martin et Courbet. Cette évolution est marquée par trois moments clés qui sont aussi des tournants philosophiques ou politiques : la naissance du naufrage comme un genre se détachant de la peinture d’histoire au siècle des Lumières, la dramatisation du naufrage qui fait ressortir la toute-puissance de la nature à l’âge romantique et la sentimentalisation du naufrage à travers la figuration des victimes (influence du socialisme ou du catholicisme social ?) dans la seconde moitié du XIXe siècle.

D’une certaine façon, il y a trois registres ou trois genres en un pour le naufrage : le tragique, le dramatique et le pathétique. En tout cas, on voit bien que l’art de Joseph Vernet consiste à enfermer la mer dans un cadre classique, comparable au théâtre du même nom, tandis que Courbet ou Boudin font éclater ce cadre pour la représenter dans toute la matérialité de ses éléments (le grain, l’écume et l’écueil). De même, la place de l’homme qui reste minuscule dans le naufrage vu par Vernet, Isabey ou Garneray grandit jusqu’à devenir essentielle en éclipsant le phénomène naturel de la tempête comme chez Géricault, Feyen-Perrin ou Luminais. Un humanitarisme esthétisant finit par l’emporter sur l'esthétisation d'une nature déchaînée.

20:32 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art

jeudi, 22 octobre 2020

Altdorfer ou l'autonomisation du paysage

L'exposition consacrée à Altdorfer par le musée du Louvre, en partenariat avec l'Albertina, donne à voir surtout des dessins et des gravures du contemporain de Dürer. On peut y voir toute la maîtrise d’un peintre qui était avant tout un dessinateur de grand talent. La finesse du trait, la minutie apportée au détail et un certain sens de la dramaturgie donnent des œuvres délicates et frappantes comme sa série intitulée Chute et Rédemption de l’humanité.

Sans doute Altdorfer travaillait-il sous la double influence de Mantegna et de Dürer ; mais entre ces deux maîtres plus grands que lui, il est parvenu à suivre une voie originale faite de la recherche d’angles inédits et même hardis comme dans sa version de L’Annonce à Joachim ou encore son Annonciation, où l’archange Gabriel est vu de dos et non de profil.

Deux éléments caractérisent la manière d'Altdorfer : d’une part, la décentration des personnages et, en particulier, le recours à une ligne diagonale pour partager l’espace ; d’autre part, l’importance du paysage, qui, loin d’être seulement un décor, est un monde en soi, plus réel qu’idéalisé, qu’il soit habité ou non par des personnages, ce qui marque dans l’histoire de la peinture les débuts du paysage autonome.

Peu de tableaux sont présentés dans l’exposition et ceux qui le sont témoignent d’un certain archaïsme dans le choix des sujets ou leur traitement (hors de La Bataille de Charlemagne) ; mais la Crucifixion, avec des éléments gothiques ou archaïques (comme le fond d’or), est tout à fait remarquable par la multiplicité des personnages et les couleurs vives des drapés qui enveloppent ceux du premier plan. Elle offre une belle synthèse de la sensibilité germanique et des influences venues d’Italie. On pourrait également le dire de certaines œuvres de Dürer ; mais Altdorfer apporte une touche supplémentaire en ouvrant la voie à la démythification ou à la naturalisation de l’espace pictural.

14:09 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art

lundi, 01 juin 2020

Mort de Christo, l'emballeur au prix fort

Christo a fait sa réputation avec un concept unique : l’emballement – au sens premier de ce terme – des paysages et des monuments dans une toile blanche unie. Rien de plus simple ou de plus minimaliste, et pourtant des critiques d’art y ont vu du génie.

Ce genre d’enthousiasme est un symptôme de ce qu’est devenu l’art contemporain ; mais l’œuvre en question (si l’on peut parler d’œuvre, ne serait-ce qu’en raison de son caractère éphémère et donc volatil) symbolise en elle-même deux des travers de cet art : la dimension spectaculaire (au sens de la société du spectacle) et le renversement du rapport à la réalité (y compris artistique). D’une part, le spectaculaire – tel un mauvais trompe-l’œil – est un des moyens privilégiés par les artistes contemporains et, d’autre part, l’art est devenu (depuis Duchamp) un dialogue quasi exclusif avec l’artefact.

Christo a fait mieux – ou pis – que de détourner des objets du paysage urbain : il a inversé le rapport entre contenu et contenant en faisant de l’empaquetage d’un monument une œuvre en soi, en dépit de son caractère dérisoire ou provisoire. La difficulté est de qualifier cet empaquetage qui n’est ni un complet camouflage ni un parfait embellissement, à moins de préférer l’emballage à l’objet dans un cadeau. Quant à lui donner un sens, toutes les interprétations sont possibles, depuis la recherche des lignes primitives de l’objet empaqueté jusqu’à la dénonciation de la société de consommation. Mais c’est là que le procédé touche à l’escroquerie et plutôt deux fois qu’une, parce que l’élévation de l’emballage au rang des beaux-arts (qui est un acte de consommation suprême) s’est faite, dans ses réalisations les plus spectaculaires, au prix fort.

15:42 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent

samedi, 29 février 2020

Hartung ou la griffure élevée au rang du grand art

Une grande exposition consacrée à Hans Hartung au musée d'Art moderne de la ville de Paris permet de comprendre le sens d’une œuvre qui déconcerte par la sécheresse de son trait et le peu de place accordé à la figuration ou même à une abstraction très évocatrice.

Il faut dire qu’outre l’absence de titres et la production en série de tableaux seulement numérotés, l’artiste a mis longtemps à trouver une voie originale et belle. Les premières décennies de son travail sont marquées par des toiles rudimentaires, plus gribouillées que composées, qui le placent très en dessous des grands noms de l’abstraction comme Picabia, Kandinsky ou Mondrian. Il lui a fallu changer d’outil, de matériau et de manière pour parvenir à une forme singulière et reconnaissable entre toutes. La griffure a remplacé le gribouillis, et le baryté le celotex, pour donner une peinture qui sublime la calligraphie extrême-orientale et qui semble représenter tour à tour de la végétation morte ou des éruptions volcaniques.

L’inspiration de l’artiste reste cependant éloignée d’une réalité sensible ou seulement terrestre ; elle lui vient d’une vision du cosmos selon laquelle, pour parler comme le philosophe Büchner, tout n’est que force et matière. Les lois physiques qu’a pu évoquer et même invoquer Hartung sont obscures, profondes et conservent toute leur part de mystère. Mais il ne faut pas craindre de dire ce que l’abstraction faite mystère, sans titres évocateurs ni points de repère dans la réalité connue, peut avoir d’insatisfaisant, de frustrant, sinon de décevant. D’autant que la forme fait appel à une gestuelle ou à des techniques desquelles la grande poésie semble absente.

01:03 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent

lundi, 18 novembre 2019

Otto Wagner, un moderniste contrarié

Une exposition consacrée à Otto Wagner, à la Cité de l'architecture, permet d'apercevoir les contradictions, sinon les incohérences, d'un des maîtres de l'architecture moderne à l'époque de l'Art nouveau. On y voit que le modernisme de Wagner est beaucoup plus mêlé que sa réputation peut le laisser croire. Cela confirme l'idée assez peu répandue selon laquelle la modernité viennoise (supposée avoir été première ou devancière par rapport à d'autres comme la parisienne) est, pour une bonne part, un mythe entretenu par une vision idéalisée, rétrospective et postmoderniste de la Vienne de 1900.

Wagner n’a pas attendu la rupture d’avec la Sécession viennoise pour intégrer dans son architecture tous les éléments possibles d’historicisme, aussi bien gréco-romains ou romano-byzantins que renaissants ou baroques. Son modernisme consiste surtout dans le recours à des matériaux nouveaux et la simplification des formes et des volumes (comme pour la Caisse d'épargne de la poste de Vienne) ou, au contraire, la synthèse des styles du passé et du présent dans un esprit éclectique (comme pour l'église Saint-Léopold am Steinhof). Le fonctionnalisme de Wagner s’attache à la structure des bâtiments sans éliminer l’ornementation extérieure, qui, bien que nouvelle, avec des décorations florales et colorées, verse contre les principes wagnériens eux-mêmes (« tout doit être nécessaire ») dans la gratuité esthétique.

On dira que Wagner devait composer avec le conservatisme de ses contemporains ou encore sacrifier à un certain académisme pour obtenir des commandes privées ou publiques. Mais outre qu’il n’a remporté aucun concours public suivi d'exécutions concrètes, en dehors du métropolitain viennois, il a adopté pour des réalisations à son usage personnel – comme les villas Wagner I et II – des lignes somme toute classiques et, en définitive ou pour partie, historicistes. Il a laissé ses élèves (Josef Hoffmann notamment) développer toutes les potentialités modernes que contenaient ses vues sur l’architecture fonctionnelle ou la grande ville à la croissance illimitée.

02:01 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent

jeudi, 29 août 2019

Les dessins de Weimar, au croisement de deux romantismes

Une exposition sur l’Allemagne romantique au Petit Palais permet de découvrir d’excellents peintres paysagistes allemands, contemporains de Goethe, comme Kobell qui a dessiné une série de paysages stylisés en variant la présence de l’élément humain entre mythologie et réalisme ou Horny qui s’est attaché à représenter une campagne italienne intemporelle et idéalisée. Mais les artistes germaniques de premier rang sont également présents : une série d’études de têtes et de portraits littéraires rappelle l’importance de Füssli dans l’élaboration d’un romantisme noir ; une petite sélection de dessins de Friedrich se détache des autres œuvres exposées – mis à part le fascinant Paysage avec grotte, tombeaux et ruines au clair de lune de Kobell – par leur lumière rase et comme post-apocalyptique (voir le sublime Pèlerinage au soleil couchant).

Aucun des peintres du romantisme tardif ou du mouvement des Nazaréens, pas même Overbeck, son chef de file, ne l’égale. On peut apprécier la rigueur pâle et christique des portraits les plus caractéristiques dudit mouvement ou les scènes bibliques très italiennisantes de Schnorr von Carolsfeld (L’homme riche et le pauvre Lazare) ou encore de von Schadow (La Mise au tombeau), mais aussi se demander ce que ces artistes ont ajouté à la manière de Dürer ou de Raphaël. On cherche le véritable renouveau de la peinture allemande qu’ils étaient censés incarner, même dans les œuvres les plus germanisantes qui empruntent au Moyen Age gothique ou au cycle des Nibelungen.

23:33 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art

mercredi, 31 juillet 2019

Jean-Jacques Henner en son musée parisien

Un hôtel particulier construit dans le style Louis XIII au XIXe siècle abrite les principales œuvres de ce peintre d’origine alsacienne qu’on peut qualifier de symboliste par défaut. Du symbolisme, il y a bien dans son œuvre : des postures de femmes le plus souvent seules et nues symbolisent des personnages ou des scènes mythologiques. Mieux encore, c’est la femme qui est sacralisée dans le plus simple appareil selon un système de représentation associant une bichromie (la blancheur nacrée des chairs et la rousseur incandescente des cheveux) à un tremblé produisant une impression de flou.

Sans doute y a-t-il un abus du flou dans certains cas (voir Eglogue) ; mais il faut imaginer que le peintre l’a conçu comme un discret camouflage de la nudité (voir Le Rêve ou Nymphe endormie) et peut-être aussi comme une manière de rendre le trouble de la perception. Ce serait alors la concession à la modernité d’un artiste passé par Rome selon les usages les plus classiques et qui a trouvé une bonne partie de son inspiration dans la grande peinture italienne. Il reste que les nus de Henner, tout en s’inscrivant dans la tradition des Vénitiens, méritent pour certains d’entre eux (La Liseuse notamment) d’être regardés – positivement – comme des érotiques.

08:52 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent