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jeudi, 16 février 2023

De la civilisation à la décivilisation des mœurs

Nous savons au moins depuis la parution des œuvres de Norbert Elias que la civilisation est un processus et non seulement un état. A cet égard, La Civilisation des mœurs et La Société de cour demeurent des références indépassables.

Selon le grand sociologue allemand, l’histoire de l’Occident a été marquée, dès le bas Moyen Age, par un adoucissement progressif des mœurs grâce à la formation d’un monopole de la violence légitime entre les mains d’un Etat central et à l’établissement d’un code des bonnes manières.

La civilisation des mœurs n’est pas pour autant un processus à sens unique, suivant une logique irréversible et téléologique, puisqu’elle peut se retourner en un processus de décivilisation. Celui-ci se produit généralement en des temps tourmentés par une guerre civile ou une révolution de quelque nature qu’elle soit, y compris sous la forme durable d’un régime tyrannique.

La particularité de notre époque est que, sans révolution à proprement parler (même s’il existe à l’évidence une révolution des mentalités), les mœurs se dégradent au point qu’il n’est pas exagéré de parler d’une décivilisation rampante, sinon d’une barbarisation – même à bas bruit – au sens éliasien du terme (qu’il convient de réserver aux périodes de violence massive).

Cette décivilisation des mœurs se voit à travers toute une série de phénomènes distincts et néanmoins concomitants comme la dépréciation des valeurs classiques, l’appauvrissement de la langue écrite et parlée, la libération des émotions et la banalisation de l’impudeur ou encore la multiplication des cas de barbarie ordinaire.

Il se trouve naturellement des sophistes pour nier ou relativiser ces phénomènes en les inscrivant dans une histoire sociale longue, où l’expression d’une vitalité ou d’une violence spontanée, même sous le masque des rituels sociaux, serait une donnée permanente. En vérité, leur volonté de dénier toute forme d’affaissement ou de régression historique ne fait que les aveugler.

Il faut néanmoins reconnaître qu’une décivilisation des mœurs a de quoi surprendre en un temps où le mouvement de pacification sociale semble avoir atteint un point d’achèvement avec l’Etat de droit et les droits de l’homme. Mais la raison de ce paradoxe est peut-être à chercher dans ce qui, par comparaison avec les temps anciens, fait défaut aujourd’hui : l’autorité de l’Etat et le savoir-vivre.

L’autorité du droit ne suffit pas à assurer celle de l’Etat, et le vivre-ensemble ne remplace pas le savoir-vivre. Et ce d’autant moins qu’une dégradation des mœurs se produit parfois avec une tolérance coupable de la part de la société civile ou des autorités publiques contre toute idée de vie commune.

10:17 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : décivilisation, elias

dimanche, 30 janvier 2022

Ce qu'un acronyme dit et ne dit pas

Les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont des mouroirs qui ne disent pas leur nom. Ce sont des lieux où la fin de vie est institutionnellement organisée au double avantage des familles délaisseuses et des profiteurs de la misère de l’âge. Il existe plus qu’un contrat tacite entre les unes et les autres pour éloigner les vieillards égrotants ou cacochymes de la vue des plus vaillants. On parlera d’individualisme ou d’égoïsme, mais il faut aussi parler de la faillite de la famille.

Les liens entre les générations se sont dissous sous l’effet cumulatif du déclin de la culture religieuse, de la libéralisation des mœurs et de l’émancipation féminine. Pis encore, le temps de la famille a été grignoté et finalement préempté par le travail, la consommation et les loisirs. La famille s’est d’abord amoindrie, rétrécie, avant d’éclater, malgré ses fausses recompositions diverses et variées. Les personnes âgées ont été expulsées du cercle familial, puis reléguées, isolées dans les antichambres de la mort qui se sont appelées successivement asiles, maisons de repos et désormais établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes. Autant de mots pour cacher la terrible réalité d’une réclusion de fin de vie.

13:04 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : décivilisation

jeudi, 16 décembre 2021

Myopie contemporaine

La conjoncture prend toute la place qui devrait être celle de la perspective. Cette situation vient notamment de ce que certains concepts qui permettraient de penser le monde contemporain sont mis de côté au profit de deux visions présentistes et faussement antagonistes : l’économisme et le sociologisme. Il y a bien aussi l’écologisme qui à sa manière est un perspectivisme ; mais celui-ci demeure insuffisant pour appréhender complètement le devenir des civilisations. Ainsi ne voit-on pas toute la portée historique ou métahistorique de certains phénomènes parce qu’on s’interdit de les interpréter à la lumière de concepts inactuels (divertissement, décadence, vitalité, volonté de puissance, ressentiment).

15:08 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : pascal, nietzsche, spengler, valéry

mercredi, 02 juin 2021

Un grand magasin de jouets

Le règne de l’artifice ne vient pas seulement de la multiplication des artefacts, mais aussi de la déconstruction des idées. Plus rien ne va de soi, donc plus rien n’est naturel. Tout est construit et donc déconstructible. La réalité ou la représentation sociale n’est plus qu’un Meccano auquel peuvent jouer les grandes personnes. La société est devenue un grand magasin de jouets symboliques.

01:00 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : déconstruction

mardi, 18 mai 2021

Une nouvelle ère du soupçon

Les méthodes de contrôle dans les transports publics disent tout de l’époque. Rien ou presque ne distingue les contrôleurs des voyageurs. Ils ont des uniformes à peine reconnaissables et se signalent au tout dernier moment avant leur intervention. Ils empruntent leurs méthodes à celles qu’ont en commun les policiers en civil et les voyous : ils agissent en bande et par surprise en recourant au guet-apens. Ainsi l’usager des transports publics se trouve-t-il virtuellement dans une double position inconfortable : celle du voyageur détroussable et du resquilleur cerné. La société civilisée a changé au point que le soupçon s’étend à tout le monde, y compris l’honnête citoyen. C’est une nouvelle ère du soupçon.

13:56 Publié dans Civilisation | Lien permanent

mardi, 02 mars 2021

Plaisir et impudeur

La libération du plaisir – notamment féminin – est une bonne chose en soi et n’a pas être mise en question. En revanche, la liberté du discours sur la sexualité ou simplement l’absence de retenue dans le discours participe de cette décivilisation des mœurs qui s’observe globalement. Ce qui devrait être réservé à l’intime ou, à tout le moins, à un espace circonscrit, est fièrement étalé et abondamment commenté sur la place publique.

La pudeur qui était regardée comme un progrès de la civilisation n’a plus cours et l’impudeur – même si on ne l’appelle plus ainsi – est vue comme progressiste (et, de fait, reconnue comme un nouveau droit). On en arrive même à ce paradoxe que la pudeur, qui était l’apanage des femmes, est devenue celui des hommes dans la mesure où la libération du discours sur le plaisir concerne essentiellement les femmes (l’asymétrie est tout à fait frappante sur ce point). En tout cas, liberté et pudeur pourraient aller de pair ; mais non, l’absence de limites dans le discours fait aller ensemble la liberté et l’indécence.

17:12 Publié dans Civilisation | Lien permanent | Tags : décivilisation

mardi, 02 juin 2020

La nouvelle américanisation du monde

Il y a une nouvelle américanisation du monde qui tient à ce qu'est devenue l'Amérique : une nation obsédée par la question des minorités. L'Amérique n'exporte plus seulement son mode de vie ou ses produits culturels, mais aussi ses névroses qui lui viennent d'une mauvaise conscience historique.

16:35 Publié dans Civilisation | Lien permanent

lundi, 13 avril 2020

L'Utopie du monde d'après

De bons esprits rêvent déjà d'un nouveau monde d'après l'épidémie, caractérisé par moins d'économie capitaliste et plus de solidarité entre les hommes. A chaque crise majeure, quelle que soit sa nature, c'est toujours la même chose, toujours les mêmes espérances et, au bout du compte, toujours la même désillusion. Les mêmes esprits voient moins ce qui, d'une crise à l'autre, se renforce chaque fois un peu plus : la propension à recourir à la contrainte collective plutôt qu'à la responsabilité individuelle. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de servitude - fût-elle volontaire - que justifie le bien de l'humanité ou ce qui est regardé comme tel, sous des espèces sanitaires et bientôt environnementales.

17:38 Publié dans Civilisation | Lien permanent

vendredi, 18 janvier 2019

Une terreur virtuelle

On ne vit pas seulement une transition historique, mais aussi une révolution qui n’a peut-être pas de précédent dans l’Histoire parce qu’elle se fait au moyen d’une terreur virtuelle.

16:12 Publié dans Civilisation | Lien permanent

vendredi, 30 mars 2018

La Liberté de dire ou ce qu'il en reste

Il est devenu difficile voire impossible de parler dans l’espace public des différences, ce qui est un paradoxe puisqu’on ne cesse de célébrer en même temps la Différence. Il n’est plus seulement possible d’évoquer les différences entre les hommes et les femmes, les hétérosexuels et les homosexuels ou encore entre les nationaux et les étrangers, pour prendre les trois domaines les plus sensibles. Résultat : rien n’est dit que de convenu.

Par convenu, il faut entendre ce qui est admis sous un régime d’égalité et d’indifférenciation. Cela donne une nouvelle forme d’hypocrisie que l’on pourrait néanmoins rapprocher de la vieille hypocrisie bourgeoise (on professe une morale à laquelle on ne croit pas et que l’on contredit dans les faits), mais aussi de la dissimulation en usage dans les pays dictatoriaux (on tient un discours auquel on ne croit pas de peur de perdre sa position sociale voire d’être poursuivi en justice).

11:16 Publié dans Civilisation | Lien permanent