mardi, 12 janvier 2021
Bacon ou la Peinture comme équarrissage
Francis Bacon est le peintre de la métamorphose, de la mutation des corps, de la transmutation des visages. De figurative, sa peinture se fait défigurative ou transfigurative. Ni surréaliste ni hyperréaliste, elle représente généralement un être déformé ou décharné selon une manière qui tient parfois de la radiographie (les portraits en transparence), mais qui, le plus souvent, se situe entre l’anatomie et le dépeçage.
En définitive, le monde selon Bacon est plus près de l’abattoir que du laboratoire, aussi effrayant parfois que la réalité de l’équarrissage, même si l’on n’y voit que des corps humains et non des carcasses d’animaux comme chez Soutine. Il touche par là au monstrueux plus qu’au merveilleux, à l’horrifique plus qu’au fantastique, et le spectateur indulgent cherche à en être fasciné, pour ne pas en être effrayé ou simplement dégoûté.
01:01 Publié dans Jeu de massacre | Lien permanent
mardi, 15 décembre 2020
De l'art de voyager à l'ère postmoderne
Nous voyageons et nous ne voyageons pas. Nous voyons des choses et nous ne les voyons pas. Nous ne voyons que l’extérieur des choses ou ce qu’il reste de leur passé glorieux. Par la force même des choses, les lieux ne nous échappent certes pas ; mais nous ne nous fions qu’à leurs apparences. Autrement dit, si nous voyageons, nous voyageons en surface et non en profondeur. Nous glissons sur les voies que nous empruntons ; même nos yeux finissent par glisser sur les murs que nous contemplons. Nous croyons pénétrer le sens d’un pays par ce qu’il a été au temps jadis ou par ce qu'il est et demeure aujourd'hui. L’absence de contact prolongé avec ses habitants n’est pas forcément en cause.
Dans L’Art de l’oisiveté, Hermann Hesse dit ce que doit être le voyage pour qu’il ne soit pas superficiel. Il évoque la fréquentation des habitants du pays visité et même le partage de leur vie quotidienne. Cette vision avait son sens en un temps où les populations n’étaient pas uniformisées par l’économie de marché et un mode de pensée mondialisé. Cela ne signifie pas qu’il reste seulement de beaux paysages à traverser ou des vieilles pierres à visiter ; mais cela relativise la fonction de découverte du voyage, d’autant que même la réalité physique du monde est ou peut être connue virtuellement, dans sa plus grande extension, de tous. Ce qui reste à découvrir se trouve donc hors des réseaux de communication classiques ou virtuels, sur des chemins secrets ou dans ce que cache la fausse transparence d’un monde globalisé.
17:14 Publié dans Faux-semblants | Lien permanent | Tags : hesse
jeudi, 22 octobre 2020
Altdorfer ou l'autonomisation du paysage
L'exposition consacrée à Altdorfer par le musée du Louvre, en partenariat avec l'Albertina, donne à voir surtout des dessins et des gravures du contemporain de Dürer. On peut y voir toute la maîtrise d’un peintre qui était avant tout un dessinateur de grand talent. La finesse du trait, la minutie apportée au détail et un certain sens de la dramaturgie donnent des œuvres délicates et frappantes comme sa série intitulée Chute et Rédemption de l’humanité.
Sans doute Altdorfer travaillait-il sous la double influence de Mantegna et de Dürer ; mais entre ces deux maîtres plus grands que lui, il est parvenu à suivre une voie originale faite de la recherche d’angles inédits et même hardis comme dans sa version de L’Annonce à Joachim ou encore son Annonciation, où l’archange Gabriel est vu de dos et non de profil.
Deux éléments caractérisent la manière d'Altdorfer : d’une part, la décentration des personnages et, en particulier, le recours à une ligne diagonale pour partager l’espace ; d’autre part, l’importance du paysage, qui, loin d’être seulement un décor, est un monde en soi, plus réel qu’idéalisé, qu’il soit habité ou non par des personnages, ce qui marque dans l’histoire de la peinture les débuts du paysage autonome.
Peu de tableaux sont présentés dans l’exposition et ceux qui le sont témoignent d’un certain archaïsme dans le choix des sujets ou leur traitement (hors de La Bataille de Charlemagne) ; mais la Crucifixion, avec des éléments gothiques ou archaïques (comme le fond d’or), est tout à fait remarquable par la multiplicité des personnages et les couleurs vives des drapés qui enveloppent ceux du premier plan. Elle offre une belle synthèse de la sensibilité germanique et des influences venues d’Italie. On pourrait également le dire de certaines œuvres de Dürer ; mais Altdorfer apporte une touche supplémentaire en ouvrant la voie à la démythification ou à la naturalisation de l’espace pictural.
14:09 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art, altdorfer
mardi, 22 septembre 2020
Une époque antiromantique
L'amour est un de ces rares domaines où peut exister une égalité réelle. Mais notre époque qui se veut pourtant celle de l'égalité réelle n'a rien de romantique, bien au contraire. L'amour ne lui est-il pas secrètement suspect ?
10:54 Publié dans Eros | Lien permanent
lundi, 17 août 2020
L'Existentialisme des sentiments chez Lattuada
Dans Les Adolescentes d’Alberto Lattuada, une lycéenne s’éprend d’un architecte qui a vingt ans de plus qu’elle, couche avec lui dans une maison de campagne, mais s’interroge finalement sur l’amour qu’elle éprouve pour cet homme. Ce film s’inscrit dans la vague des films sur l’adolescence née aux Etats-Unis dans la seconde moitié des années 1950, mais il présente toutes les caractéristiques du cinéma italien de la même époque par le recours à un noir et blanc très intimiste et l’expression d’une sensibilité existentialiste. Le personnage incarné par Catherine Spaak est de la même famille que celui joué par Monica Vitti dans L’Eclipse ou Giorgia Moll dans Laura nue. Ce sont des femmes qui acquièrent une nouvelle conscience d’exister par l’expérience à la fois heureuse et malheureuse de l’amour. C’est là une forme particulière d’existentialisme qui n’est pas celle, plus classique, de l’ennui ou de la déréliction, et qu’on pourrait appeler l’existentialisme des sentiments.
11:01 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : lattuada, existentialisme
jeudi, 13 août 2020
Péremption
Des livres déjà lus sont comme des antidépresseurs périmés.
18:16 Publié dans Médication | Lien permanent
mercredi, 01 juillet 2020
Le Mystère Satie
Le mystère Satie ou comment un compositeur amer et misérable a donné une musique légère et drolatique.
00:52 Publié dans Clef de sol | Lien permanent | Tags : satie
mardi, 02 juin 2020
La nouvelle américanisation du monde
Il y a une nouvelle américanisation du monde qui tient à ce qu'est devenue l'Amérique : une nation obsédée par la question des minorités. L'Amérique n'exporte plus seulement son mode de vie ou ses produits culturels, mais aussi ses névroses qui lui viennent d'une mauvaise conscience historique.
16:35 Publié dans Civilisation | Lien permanent
lundi, 01 juin 2020
Mort de Christo, l'emballeur au prix fort
Christo a fait sa réputation avec un concept unique : l’emballement – au sens premier de ce terme – des paysages et des monuments dans une toile blanche unie. Rien de plus simple ou de plus minimaliste, et pourtant des critiques d’art y ont vu du génie.
Ce genre d’enthousiasme est un symptôme de ce qu’est devenu l’art contemporain ; mais l’œuvre en question (si l’on peut parler d’œuvre, ne serait-ce qu’en raison de son caractère éphémère et donc volatil) symbolise en elle-même deux des travers de cet art : la dimension spectaculaire (au sens de la société du spectacle) et le renversement du rapport à la réalité (y compris artistique). D’une part, le spectaculaire – tel un mauvais trompe-l’œil – est un des moyens privilégiés par les artistes contemporains et, d’autre part, l’art est devenu (depuis Duchamp) un dialogue quasi exclusif avec l’artefact.
Christo a fait mieux – ou pis – que de détourner des objets du paysage urbain : il a inversé le rapport entre contenu et contenant en faisant de l’empaquetage d’un monument une œuvre en soi, en dépit de son caractère dérisoire ou provisoire. La difficulté est de qualifier cet empaquetage qui n’est ni un complet camouflage ni un parfait embellissement, à moins de préférer l’emballage à l’objet dans un cadeau. Quant à lui donner un sens, toutes les interprétations sont possibles, depuis la recherche des lignes primitives de l’objet empaqueté jusqu’à la dénonciation de la société de consommation. Mais c’est là que le procédé touche à l’escroquerie et plutôt deux fois qu’une, parce que l’élévation de l’emballage au rang des beaux-arts (qui est un acte de consommation suprême) s’est faite, dans ses réalisations les plus spectaculaires, au prix fort.
15:42 Publié dans Jeu de massacre | Lien permanent
lundi, 13 avril 2020
L'Utopie du monde d'après
De bons esprits rêvent déjà d'un nouveau monde d'après l'épidémie, caractérisé par moins d'économie capitaliste et plus de solidarité entre les hommes. A chaque crise majeure, quelle que soit sa nature, c'est toujours la même chose, toujours les mêmes espérances et, au bout du compte, toujours la même désillusion. Les mêmes esprits voient moins ce qui, d'une crise à l'autre, se renforce chaque fois un peu plus : la propension à recourir à la contrainte collective plutôt qu'à la responsabilité individuelle. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de servitude - fût-elle volontaire - que justifie le bien de l'humanité ou ce qui est regardé comme tel, sous des espèces sanitaires et bientôt environnementales.
17:38 Publié dans Civilisation | Lien permanent