samedi, 23 juillet 2022
Le Jour dit d'Alain Leroy
Le 23 juillet est le jour d’un suicide connu de quelques cinéphiles et amateurs de littérature. En vérité, il s’agit surtout de cinéphiles puisque cette date n’apparaît pas dans le roman dont le film est l’adaptation et où seul est indiqué le mois de novembre (c'est une « belle nuit de novembre » qui précède le matin du suicide).
Le film porte le même titre que le livre (Le Feu follet), mais le personnage d’Alain est affublé du patronyme de Leroy qu’il n’a pas dans le roman comme pour signifier qu'il fut, avant la cure de désintoxication dans une clinique de Versailles, le roi des nuits parisiennes. La date du 23 juillet est écrite au feutre sur le miroir de la chambre d'Alain et entourée d’un cercle pour marquer la détermination du personnage à mourir à cette date.
A la force du texte de Drieu la Rochelle vient s’ajouter la grâce d’un film qui doit autant à la réalisation en clair-obscur de Louis Malle et au jeu criant de vérité de Maurice Ronet qu’à la musique mélancoliquement insolite d'Erik Satie.
20:40 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : mélancolie, drieu, malle, satie
jeudi, 22 avril 2021
Drieu face à Ocampo
La correspondance de Drieu la Rochelle avec Victoria Ocampo, publiée sous le titre de Lettres d’un amour défunt, nous en dit plus sur l'un que sur l'autre. Celle-ci se montre tout à fois noble, retenue, distante, avec néanmoins des restes d'affection. Quant à celui-là, on y retrouve un Drieu ambivalent, à la fois faible et cynique, sombre et provocateur, blâmable et attachant.
L’amitié amoureuse qui lie les deux écrivains semble à sens unique. Drieu apparaît comme un amoureux éconduit qui a transformé sa déception en amitié, mais une amitié double, amère et spirituelle, de regret et de sublimation. Révélatrice, à cet égard, est la manière fausse – résignée dans le fond, mais cachant mal un reste de désir sexuel – qu’il a de justifier l’amitié dans l’amour et l’amour sans le sexe.
00:02 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : drieu, ocampo
vendredi, 18 novembre 2016
L'Amour comme un château en Espagne
Drôle de voyage de Drieu la Rochelle, paru en 1933, est un roman d’analyse assez subtil, qui se situe entre Adolphe et Armance. Le personnage de Gille (sans s) est sensible sans être sentimental ou plutôt, comme l’était Drieu lui-même, d’une sentimentalité honteuse et cachée. Dans sa fréquentation d’une fille de lord anglais, il est tiraillé entre attirance et prévention, prédation et renoncement. Ses deux séjours à Grenade trahissent une évidente indécision ; mais c’est l’envie de fuir qui l’emporte finalement et, plus que la peur du mariage (où la femme enserre l’homme de sa faiblesse), le dégoût d’un milieu étriqué que l’idée de la décadence lui fait détester.
Il y a beaucoup de Drieu dans ce personnage de diplomate, comme il avait rêvé de le devenir lui-même ; mais son Gille Gambier est placé dans un décor imaginaire en dépit de quelques éléments empruntés à la réalité tant historique (la montée du fascisme sert discrètement de toile de fond politique au livre) que personnelle (le personnage de Cahen, l'ami de Gambier, est le double probable de Berl). Pour drôle que soit ce voyage romanesque, il l’est par son résultat plus que par ses péripéties : l’aventure n’aura été qu’une aventurette. Mais loin d’en avoir le côté dérisoire, le roman s’inscrit dans la meilleure veine de Drieu, celle de la dénonciation des faussetés de la vie bourgeoise, entre Blèche et Rêveuse Bourgeoisie.
mercredi, 14 juillet 2010
Blèche ou le roman de l'imposture bourgeoise
Drieu la Rochelle est de ces écrivains qui sont parvenus à faire de leur sensibilité bourgeoise une littérature des mauvais sentiments. Blèche, paru en 1928, appartient à la catégorie de ses romans – comprenant également Drôle de voyage ou Rêveuse Bourgeoisie – où il n'y a d'autre intrigue que sentimentale ou psychologique, sans considération politique apparente. Drieu part d’un fait domestique pour atteindre à la vérité profonde d’un personnage, d’un milieu et d’une époque. L’analyse des sentiments à laquelle il se livre, et qui sans doute doit beaucoup à la connaissance de son propre moi, est digne de Benjamin Constant ou de Xavier de Maistre. Et c’est avec la même acuité du regard qu’il s'attache à cerner l’esprit des années 1920 marqué par des idées et des tentations nouvelles, annonciatrices de la décennie suivante.
Le Blaquans de Drieu qui est un écrivain catholique sans la foi en Dieu, et qui n’est pas sans rappeler le Cénabre de Bernanos dans L’Imposture, porte en lui une singularité morale et une universalité propre à la condition de l’homme moderne. Il est un imposteur qui a choisi la religion pour vivre bourgeoisement et un solitaire pourtant marié qu’attirent érotiquement la foule de la grande ville comme les femmes à son service. Le vol dont il est la victime l’accuse et le révèle à lui-même dans sa dualité, laquelle a pour cause une faiblesse de caractère, une mollesse cachée, une irrésolution foncière. Des traits qui caractérisent souvent les personnages de Drieu et dont il ne faut pas s'étonner qu'ils soient aussi les siens.
11:42 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : drieu, bernanos, constant