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lundi, 25 juin 2007

Monsieur Klein ou les variations sur le thème du double

Mieux qu’un film historique ou symbolique, Monsieur Klein de Joseph Losey est une illustration frappante du thème du double. On sait que ce thème archaïque a été réactivé et magnifiquement développé par le romantisme allemand. C’est sous l’influence de Hoffmann et peut-être de Chamisso que Dostoïevski a écrit Le Double qui est, avec Les Carnets du sous-sol, une de ses œuvres matricielles.

A voir ou revoir le film de Losey, on pense tout naturellement à Kafka et non à Dostoïevski. L’engrenage infernal dans lequel est pris Robert Klein fait penser – nonobstant la différence de contexte – à la ténébreuse procédure dont Joseph K. fait l’objet. Pourtant, il y a un élément supplémentaire dans l’histoire de Klein qui est commun à celle de Goliadkine – le personnage du Double de Dostoïevski : c’est la présence d’un alter ego.

Autrement dit, il y a du Goliadkine autant que du K. en Klein. Il est tourmenté par un autre Klein qui lui ressemble et qui lui reste invisible. Après avoir découvert l’existence de cet homonyme, il décide de partir à sa recherche. Inquiet mais aussi intrigué, il en cherche la trace là où des indices le mènent à dessein de trouver l’homme avec lequel il a peut-être été confondu, mais aussi quelque chose de plus obscur comme un lien secret ou une vérité cachée.

Cependant, à l’inverse du personnage de Dostoïevski, c’est Klein qui se met à ressembler à son double jusqu’à s'identifier avec lui. Il finit par partager son sort, sans qu’il ait pourtant réussi à le trouver. Il se confond avec lui dans une tragédie qui, autre différence d'avec le roman de Dostoïevski, ne contient aucun trait de comédie.

19:27 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : kafka, dostoïevski

samedi, 26 mai 2007

Du monastère au laboratoire

La musique occidentale est symboliquement passée du monastère à l’église, de l’église au palais, du palais au théâtre, du théâtre à la salle de concert, et de la salle de concert au laboratoire.

10:49 Publié dans Clef de sol | Lien permanent

mardi, 22 mai 2007

Le christianisme n'est pas un humanitarisme

Dans L’Homme du ressentiment, Max Scheler reproche à Nietzsche de confondre morale chrétienne et humanitarisme moderne. L’amour chrétien peut venir d’une vitalité surabondante et non d'un ressentiment contre la vie. Seul l’humanitarisme procède du ressentiment, contre une humanité supérieure ou les institutions établies, et préfère à celles-ci une humanité souffrante et malheureuse en vertu d'un attachement de principe qui n'est pas un amour authentique. Mais cet humanitarisme, à partir du luthéranisme selon Scheler, a commencé à contaminer le christianisme en gauchissant l’amour chrétien dans le sens de l’eudémonisme, de l’utilitarisme moral et de l’action sociale. De sorte que le christianisme et l’humanitarisme, sans qu’il y ait eu identité à l'origine, ont fini par se ressembler comme des frères jumeaux, donnant ainsi raison pour les apparences à Nietzsche.

00:49 Publié dans Philosophia | Lien permanent | Tags : nietzsche, scheler

mardi, 12 décembre 2006

La bonne fortune de Zweig

Zweig n’a rien pour intéresser nos contemporains. C’est un auteur subtil, spirituel, mais aussi sensible et sentimental. Le monde aristocratique qu’il décrit est oisif, veule, obscurément tourmenté, aimablement désuet. C’est un monde de conventions et de sentiments faits pour les délicats et les privilégiés.

Comment expliquer alors la fortune persistante de Zweig en des temps voués à la dérision et à la vulgarité ? Comment expliquer l’étonnante indulgence des critiques et l’engouement jamais démenti des lecteurs ? Les premiers, jamais en mal de bons sentiments, en dépit des apparences, pensent peut-être, sans pouvoir s’en détacher, à la fin tragique de Zweig ; les seconds, souvent de jeunes bourgeoises, il faut bien le reconnaître, rendent hommage au sentimentalisme et à la mièvrerie de ses nouvelles.

Si l’on veut bien les comparer, Zweig semble avoir quelques avantages sur Proust. Tous deux peignent une société perdue ou en perdition. Tous deux ont le goût et les raffinements d’une aristocratie à laquelle ils n’appartiennent pas. Mais à défaut de génie, Zweig continue d’avoir les faveurs d’un public qu’on ne trouve pas aussi nombreux et juvénile du côté de Proust. L’Autriche crépusculaire de l’un a peut-être plus de charme que les grands salons parisiens de l’autre. Mais la raison, l’inavouable raison est ailleurs : Zweig est plus bref que Proust.

14:40 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : zweig, proust

mardi, 28 novembre 2006

Mann vs Jünger

C’est notamment dans leurs rapports avec l'Allemagne que Thomas Mann et Ernst Jünger s’opposent. Mais l’enracinement n’est pas chez celui que l’on croit, ni à l’inverse le déracinement ou, pour être plus exact, le détachement.

Chez Mann, il y a l’ambition, mimétiquement goethéenne, d’appréhender le monde dans sa totalité, mais à travers un prisme avant tout germanique. Il n’a ni l’encyclopédisme ni l’universalisme d’un Goethe encore marqué par le Siècle des Lumières. Le nationalisme culturel du jeune Nietzsche et du Wagner mûr à l’école duquel il s’est formé continue de le marquer jusqu’à la fin. Le Mann de la maturité a beau vouloir s’en arracher après La Montagne magique, il y revient par des moyens détournés, malgré Joseph et ses frères, en évoquant le sombre et symbolique destin d’un musicien allemand (Docteur Faustus) ou en reprenant, plus ironiquement, le personnage d’un aigrefin dans l’Allemagne industrieuse d’avant la Grande Guerre (Les Confessions du chevalier d’industrie Félix Krull). Au fond, son œuvre qui demeure introspective n’en finit pas de sonder l’âme allemande.

Mann a certes sur Jünger cette supériorité d'être, dans la lignée de Goethe et de Fontane, l’Ecrivain allemand du XXe siècle ; mais il a aussi cette infériorité de ne pouvoir s’élever au-dessus de l’esprit allemand, à force de vouloir l’incarner, et d’être par conséquent moins goethéen, moins apollinien, moins serein que le Jünger des Chasses subtiles ou de L’Auteur et l’écriture. Après une rupture par étapes avec son premier conservatisme, entre 1922 et 1933, Mann se veut libéral et progressiste, à l’image du Settembrini de La Montagne magique ; mais pendant son exil américain, et jusqu'à sa mort en Suisse en 1955, il a paradoxalement plus de mal que Jünger, lui aussi passé par le nationalisme, à se défaire de l’Allemagne, à se libérer de ses mythes et de ses démons.

Le Jünger d’après-guerre au contraire, entre la figure du Rebelle et celle de l'Anarque, s’impose comme un maître de la marge et du détachement, adoptant avec ironie le point de vue de Sirius sur son époque, annonçant avec clairvoyance l’avènement d’un Etat universel en même temps que le règne des titans. Le paradoxe veut que le conservatisme, qui perdure chez le dernier Mann à travers son rapport intime avec l'Allemagne, se situe en marge de la nation chez le Jünger de la maturité. Sans doute ne faut-il pas être dupe d’un retrait tactique de la politique, lié au désenchantement d’une Allemagne diminuée, encore divisée et occupée. Il n’y en a pas moins chez Jünger, plus que chez Mann, la possibilité d’un détachement, sinon d’un dépassement, de la nation par le recours à la nature, par le refuge dans l’être et non seulement dans le savoir.

23:55 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : conservatisme, jünger, thomas mann

lundi, 13 novembre 2006

L'utile et l'agréable

"Joindre l’utile à l’agréable". C’est une jolie expression qu’on entend encore et qu’on ne devrait plus entendre puisque nos contemporains cherchent au contraire à disjoindre l’utile de l’agréable, à aller à l’agréable sans passer par l’utile, ou à oublier l’utile dans l’agréable. La sexualité en est évidemment le meilleur exemple.

23:30 Publié dans Civilisation | Lien permanent

mercredi, 01 novembre 2006

Svevo ou l'ironie du désespoir

Italo Svevo a choisi l'ironie lorsqu'il a compris qu'il ne serait pas le grand auteur classique qu'il rêvait d'être ; mais l'ironie de l'histoire littéraire a voulu qu'il devienne, par l'onction de Joyce, un moderne classique.

Avant son maître livre, La Conscience de Zeno, Svevo a composé ses deux premiers romans, Une vie et Senilità, dans le respect au moins apparent des règles classiques. Sans doute y avait-il chez lui l’intention de repousser les limites du roman d’analyse ; mais l’univers romanesque du premier Svevo, même empreint d’un pessimisme schopenhauerien, n’échappait pas à certaines conventions narratives de la littérature bourgeoise de la fin du XIXe siècle.

Le classicisme l’a conduit à l’échec, lequel l’a éloigné de la littérature pendant deux décennies. Il y est revenu avec le désenchantement de l’âge et la distance ironique qu’il faut aux innovations tranquilles. Car La Conscience de Zeno en fut une à son époque, tenant moins à l’entrée de la psychanalyse dans le roman qu’à l’évanescence du sujet romanesque. Cette évanescence fait à la fois le prix et la drôlerie du livre.

Chez Svevo, n’en déplaise aux esprits chagrins, l’ironie est première. C’est elle qui donne au personnage de Zeno son inconsistance, donc son charme. On s’en convaincra en songeant que la grande affaire de Zeno, le double littéraire de Svevo, est d’arrêter de fumer. Toute l’ironie du roman est là, et elle se retrouve dans une drolatique sélection de la correspondance de Svevo, parue posthumément sous le titre : Dernières cigarettes.

Zeno, comme Svevo lui-même, n’en finit pas de fumer sa dernière cigarette. Le manque de volonté conduit ce Sisyphe de la cigarette au mariage avec une femme qu’il n’aime pas. L’infidélité, au lieu de le délivrer de son tabagisme compulsif, lui révèle un autre mal, plus profond. Ce mal, fait d’une insatisfaction permanente, se manifestant par un étrange boitillement, le mène chez un analyste. Mais le traitement analytique - que le roman, loin de célébrer, tourne en dérision - se révèle pis que le mal.

Zeno en vient à considérer la maladie comme l’état normal de la vie. Son point de vue est entre Schopenhauer et Knock : il y a en chaque homme un malade qui doit s’accepter comme tel pour vivre normalement. La bonne santé n'existe pas ; seule la maladie détermine et distingue les êtres. L'humanité se partage ainsi entre le goitre et l'œdème. Telle est la summa divisio à laquelle arrive Zeno, en se rangeant dans la seconde catégorie.

Finalement, Zeno se sent guéri parce qu’il se sait malade. Mieux que son analyste, il comprend que son mal est celui de l’homme moderne, coupé de ses racines, oublieux de la bête qui est en lui. L’homme n’est plus qu’un " animal actif et triste ", condamné au mal-être par une civilisation technicienne qui abolit certaines lois de la nature. A moins qu’un grand cataclysme, ironiquement espéré par Svevo ou Zeno, ne l’en sauve.

10:40 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : ironie, svevo

dimanche, 29 octobre 2006

Histoires de peinture

La peinture italienne : un long été suivi d’un bel automne. La peinture flamande : un beau printemps suivi d’un lourd été. La peinture allemande : une histoire à trois temps comme un triptyque gothique. La peinture hollandaise : un âge d’or et un héros moderne. La peinture espagnole : deux âges d’or séparés par un génie noir. La peinture anglaise : deux âges d’argent suivis d’un âge de bronze. La peinture française : une longue ascension achevée en moderne apothéose. La peinture américaine : une divertissante postface, la fin de la peinture.

23:25 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : histoire de l'art

jeudi, 26 octobre 2006

Jeu de dames

De jeu d’échecs, la politique devient jeu de dames. Est-ce un mieux ?

21:00 Publié dans Divertissement | Lien permanent

mardi, 10 octobre 2006

Un grand moraliste : Nicolás Gómez Dávila

Son nom n'est pas encore illustre, mais il le devient. Gómez Dávila s'impose peu à peu, au rythme des traductions, comme le grand moraliste qu'il est et non seulement comme le doctrinaire de la Réaction qu'il paraît être.

Moraliste, il l’est par le style, par le recours quasi exclusif à la forme brève, à la maxime et à la sentence. Il l’est aussi par l’esprit, par l’acuité du regard sur la société des hommes, par le souci de mettre à nu la vertu. Il se distingue néanmoins d’un La Rochefoucauld en s’attaquant, non à la vieille vertu, mais à la nouvelle, liée à l’esprit démocratique. Derrière elle, il voit les vices ordinaires qui font les révolutions comme l’envie, la jalousie et le ressentiment. Ainsi note t-il, comme eût pu le faire Rivarol : « Le révolutionnaire est, en fin de compte, un individu qui n’ose pas chaparder tout seul. »

Réactionnaire, Gómez Dávila l’est sans doute, encore que le titre choisi pour la traduction française d’un recueil de ses scolies, Le Réactionnaire authentique, l’enferme par trop dans une catégorie politique. C’est avant tout en croyant qu’il pourfend la modernité et tout ce qui lui fait suite : le postulat de l’égalité, l’idéologie du progrès, le système démocratique (cf. Les Horreurs de la démocratie). Tout cela pour lui procède de l’idée, fausse, qu’il puisse y avoir une solution humaine au problème de l’homme. La solution ne peut être que métaphysique, impliquant la réintroduction d’une transcendance dans l’ordre politique.

La posture réactionnaire de Gómez Dávila n’en fait pas un doctrinaire. Il condamne les désordres modernes plus qu’il ne prône un retour à l’ordre ancien. Croit-il seulement à ce retour ? Il y a chez lui de la nostalgie plus que de l’espérance, et certainement pas une théologie politique aussi élaborée que chez Donoso Cortés. Ce serait même lui faire injure que de la chercher, sa pensée refusant, par le choix de l’aphorisme, toute systématique, même si parfois elle n’échappe pas à l’esprit de système. Ainsi lorsqu’il trouve à la gauche les défauts les plus absurdes.

L’ironiste néanmoins l’emporte sur le partisan, et le moraliste sur le croyant. Même sous le catholique anti-conciliaire perce un secret scepticisme : « Sans le sourire du sceptique, écrit-il, la métaphysique débouche sur des spéculations gnostiques. » Son catholicisme est une esthétique qu’il oppose à un « christianisme adultéré en manuel de recettes éthiques », rejoignant ainsi la critique nietzschéenne de la moraline et du mol humanitarisme. Il y a en lui du libre-penseur, du libre-croyant à l’intérieur de l’Eglise. Il voit assez finement dans l’orthodoxie « la tension entre deux hérésies » et s’autorise une belle irrévérence en soupçonnant tout ecclésiastique de « confondre le blasphème avec le coup d’épingle qui dégonfle sa suffisance. »

Gómez Dávila est bien un fin moraliste, un penseur subtil sous des dehors intransigeants. Il est croyant, mais aussi sceptique ; nostalgique, mais aussi lucide. Le monde qu’il vitupère, il le comprend mieux que quiconque. La meilleure preuve de sa pénétration est encore dans cette formule qui pourrait être de Cioran : « L’ennui est le vestige de la transcendance disparue. »