lundi, 25 mai 2009
La Métaphysique antiquisante de Giorgio De Chirico
De Chirico est « l’animateur de la centrale d’énergie métaphysique », selon le mot de Paul Guilhaume. La métaphysique renvoie ici, non à un autre monde, mais à une autre réalité, se situant entre le rêve et la convalescence. La peinture est seulement le moyen de son dévoilement.
Très tôt, la métaphysique de De Chirico trouve son lieu symbolique : une vaste place entouré de portiques avec en son centre une statue représentant à l’antique un personnage allongé dans une lumière post-méridienne (La Méditation ou la méditation automnale, 1912). Cette peinture dite métaphysique est née de la rencontre de la poésie d’Apollinaire avec la nostalgie de l’Italie renaissante (et, spécialement, de la « ville carrée » de Ferrare).
Il y a chez De Chirico à la fois de la transparence et du mystère. Certaines de ses œuvres se présentent même comme des énigmes à résoudre. Ainsi L’Enigme de l’horloge (1911) : l’heure indiquée par l’horloge correspond-elle à la lumière du jour ? De même, L’Enigme d’un jour (1914) : l’homme vu de dos dressé sur un piédestal est-il un personnage vivant ou une statue ? D’autres tableaux ont l’apparence d’un casse-tête à l’image du bric-à-brac d’Intérieur métaphysique (une grande usine), qui peut se comprendre d’une façon proprement surréaliste comme le rêve d’usine d’un atelier. Chez De Chirico, le mystère tient principalement dans le rapport de l'être avec le temps.
Arrive le tournant du classicisme dès les années 1920. Des correspondances poétiques ou symboliques apparaissent entre De Chirico et Magritte, qu’il s’agisse des Jeux terribles (1925), où un mannequin assis portant un amas de jouets rappelle L’Art de la conversation, ou encore de la série sur les bains mystérieux, dont les personnages figés paraissent sortir de l’univers du maître belge du surréalisme. L’humanité est statufiée à la ressemblance des dieux antiques.
Il est encore pour De Chirico une autre manière d’être classique, qu’il ne cessera de reprendre par la suite, en se considérant lui-même comme un classique et en s’imitant lui-même ou en revisitant sa première peinture métaphysique. Une évolution se dessine néanmoins à travers la présence de mannequins qui remplacent les modèles et éclipsent les statues. Ces mannequins reproduisent les gestes des hommes (La Comédie et la Tragédie, 1926) ou contemplent un tableau représentant un paysage dans une belle inversion symbolique entre artifice et nature (Le Peintre paysagiste, 1930).
Le néo-classicisme de De Chirico est à chercher du côté des paysages, des natures mortes et surtout des autoportraits peints à la manière des grands maîtres. Une belle série datant des années 1940 montre le peintre dans une posture aristocratique sous une lumière et des couleurs tour à tour florentines, vénitiennes et flamandes. Il pousse sinistrement l’autoportrait jusqu’à la représentation posthume de lui-même sous des traits cireux ou cendrés. Tout cela en dit long à la fois sur les explorations désespérées et les obsessions mortifères du peintre.
Après cette mort symbolique, De Chirico ne peut que renaître à lui-même, en revenant à sa première manière. Il reprend les œuvres de sa période métaphysique en y apportant de nouvelles touches, témoins d’une vie longue. Il propose de nouvelles séries sur les places d’Italie, les mannequins et les bains mystérieux, parfois en croisant ces différents thèmes. On pourrait dire qu’à vouloir désacraliser l’art par la duplication ou la démultiplication, il est tombé dans une nouvelle fétichisation de l’art (le travers de Warhol). En vérité, l’artiste est à la recherche d’une synthèse de son art.
Comme à la fin d’une odyssée, De Chirico en vient à représenter son parcours artistique sous les traits d’un nouvel Ulysse faisant de la barque dans sa chambre et allant d’un vieux tableau peint par lui-même à une fenêtre ouverte sur un temple antique (Le Retour d’Ulysse, 1968). Ce qui conduit à penser que la métaphysique de De Chirico est au fond, comme chez Heidegger, une nostalgie de l'Etre parménidien.
12:01 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : de chirico, magritte, heidegger