jeudi, 20 octobre 2005
La peur de la mort
L’incroyant se rassure en ouvrant les yeux, le croyant en les fermant.
11:50 Publié dans Ultima ratio | Lien permanent | Tags : sentences
lundi, 17 octobre 2005
Monsieur Ouine ou le roman du nihilisme
De tous les romans de Bernanos, le dernier est sans doute le plus mystérieux, le plus déroutant, mais aussi le plus fascinant parce que le plus noir. Si Bernanos est le Dostoïevski français, Monsieur Ouine non seulement ne ressemble qu’à Bernanos, mais encore dépasse à certains égards les romans du maître russe. S'y trouve un désespoir face au nihilisme qui ne se trouve pas même chez Dostoïevski.
Le nihilisme ou la version moderne du mal, Dostoïevski est le premier à s’y attaquer. Il l’évoque sous ses différentes espèces : morales à travers l’homme du souterrain (qui préfigure l’homme du ressentiment de Nietzsche), politiques à travers les personnages foisonnants des Possédés, philosophiques à travers la figure d’Ivan Karamazov, en qui finalement s’unifient toutes les espèces. L’âme humaine est encore ce champ de bataille où le malin dispute à Dieu sa souveraineté sur le monde. Au fond, le nihilisme selon Dostoïevski est une maladie de l’âme dont l’homme peut guérir par la conversion ou le retour à Dieu.
La vision de Bernanos est beaucoup plus radicale, bien plus désespérée : le nihilisme n’est pas seulement une maladie, c’est un mal irrémédiable qui parachève la victoire du malin sur terre. Ce qui était victoire dans Sous le soleil de Satan devient triomphe dans Monsieur Ouine. L’imperium de Satan est établi, le monde sublunaire est son empire. Et le faste de cet empire est une immense dévastation : tout n’est que ruine du bien, mort symbolique de Dieu.
A l’inverse de la Chute, Dieu a été chassé du monde des hommes. Satan s’est installé sur son trône et a pris ses attributs. Mais ce n’est pas un Satan triomphant et hilare, c’est déjà un Satan repu et lassé de son triomphe. Il ne se montre pas en majesté, il se cache comme s’il avait envie de déserter son empire - il y a du Bas-Empire dans le principat de Satan. Les hommes sont comme abandonnés deux fois, sans Dieu et presque sans diable. Livrés à eux-mêmes, ils ne sont plus des hommes, mais des bêtes sauvages.
Sauvage, le trop discret Monsieur Ouine, vieux professeur obsédé par la mort, travaillé par de mystérieuses inclinations. Sauvage, le jeune Philippe dit Steeny, un enfant rebelle, sans père, élevé par sa mère, qui rêve d'un héroïsme négatif loin de la maison maternelle. Sauvage, la solitaire Madame de Néréis, sensuelle, violente, qui attire Steeny aussi troublé par Monsieur Ouine. Sauvage, la population haineuse de Fenouille qui se livre au lynchage de Madame de Néréis au sortir de la messe.
Reste peut-être le curé de Fenouille, le procureur malheureux de ses ouailles pécheresses, qui désespère de la mort de sa paroisse. Reste aussi le médecin du village, le pendant athée du curé, pas moins désespéré que lui. Le médecin des corps s’improvise médecin des âmes pour sauver le maire du village que la débauche a rendu malade. Mais que peut la science contre une maladie de l’âme ? Si la foi a été éradiquée, le souvenir de Dieu ne s’est pas tout à fait perdu. Et pis que la culpabilité, demeure la nostalgie d’une pureté qui n’existe plus. Le curé de Fenouille est impuissant, mais le médecin positiviste aussi.
Au bout du compte, le mystère d'un meurtre n'est pas percé. L’aveu tant attendu de Monsieur Ouine ne vient pas. Le personnage sur son lit de mort ne parle pas, ne se soulage pas de ses crimes présumés. Bernanos en parle comme d'une petite bête malfaisante, sans rien révéler non plus. Une hypothèse s’impose pourtant : et si ce Monsieur Ouine était un faux visiteur, en vérité le Prince de ce monde déguisé en simple pécheur ? Ce serait la farce inventée par le diable pour se désennuyer de son triomphe.
22:00 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : nihilisme, bernanos, dostoïevski
mercredi, 12 octobre 2005
Une lacune de la langue
Le désespoir, c'est le point de vue de l’espoir sur son contraire. Il manque un terme pour dire le non-espoir originel.
12:00 Publié dans Blasphème | Lien permanent | Tags : sentences
lundi, 10 octobre 2005
Voltaire ou le Pessimisme éclairé
En douze ans, entre Zadig (1747) et Candide (1759), Voltaire semble passer d’un tout est bien à un tout est mal. En vérité, le passage se fait dans un rapport de nuances, dans un glissement philosophique beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. Voltaire, parti d’un optimisme teinté de scepticisme, arrive à un pessimisme nuancé d'eudémonisme. Il y a de l'ironie dans la "destinée" de Zadig et il n'y a pas que de l'ironie dans l' "optimisme" de Candide.
Tout ne va pas si bien pour Zadig, qui ne cesse de se demander pourquoi le malheur frappe le savant ou l’homme de bien. Mais le mal pouvant cacher ou servir le bien, Voltaire fait dire à l’ange Jesrad déguisé en ermite que « Tout est dangereux ici-bas, et tout est nécessaire. » En dépit de la liberté du ton, il y a, habillée par la raison, une philosophie de la nécessité qui apparente Voltaire, la superstition de la religion ou de la tradition en moins, aux défenseurs de l’ordre du monde sur terre comme au ciel. L’ordre cosmique coïncide avec un bien qui n’est pas aussi parfait que chez Leibniz, mais qui offre à l'homme, sans attendre, d'être heureux ici et maintenant.
Avec Candide, et le grand tremblement de terre de Lisbonne (1755) est passé par là, la perspective change puisque le mal qui existe au cœur du monde n’est plus regardé comme un paradoxe de bien, mais comme une fatalité dont il faut désespérer. A la ruine du bien ne correspond pourtant pas la fin du bonheur. La réévaluation du mal, dans un mouvement paradoxal (presque chrétien…) de la pensée, s’accompagne de la reconnaissance d’une liberté pour l’homme, et le bonheur par conséquent devient une espérance. Après le fatalisme de Zadig, la voie de l’action est ouverte, mais c’est celle d’une action raisonnable et limitée. Le jardin de Candide n'est que le domaine où l'homme peut manifester sa liberté. En Voltaire, l’optimiste paradoxal est devenu un pessimiste actif, et le conservateur apparent un libéral tranquille.
01:00 Publié dans Philosophia | Lien permanent | Tags : ironie, voltaire
samedi, 08 octobre 2005
La fausse liberté du libertin
Le libertin n’est pas libre ; c’est la nature qui est libre en lui.
09:55 Publié dans Faux-semblants | Lien permanent | Tags : sentences
vendredi, 07 octobre 2005
La fausse vertu des pauvres
On dit volontiers des pauvres qu’ils sont moins égoïstes que les riches, mais ne rêvent-ils pas de devenir riches ?
15:55 Publié dans Faux-semblants | Lien permanent | Tags : sentences
jeudi, 06 octobre 2005
Le bon mot (2)
Le deuxième bon mot est généralement la nostalgie du premier.
10:40 Publié dans Diplomatie | Lien permanent | Tags : sentences
lundi, 03 octobre 2005
Deux moralistes sous l’œil de Nietzsche
Chamfort a le sens de l’observation quand La Rochefoucauld a le sens de l’introspection. L’un s’attache surtout à la société, l’autre à l’âme humaine. Chamfort est plus empiriste que moraliste. Et son empirisme l’empêche parfois de se libérer de l’empire des apparences.
Nietzsche ne s’y trompe pas, qui invoque plus volontiers La Rochefoucauld que Chamfort. De tous les moralistes français, La Rochefoucauld est peut-être celui qui, avec Montaigne, a les plus grandes faveurs de Nietzsche. Pas seulement parce qu’il est un duc authentique – et le fils de pasteur roturier (tant pis pour ses faux ancêtres nobles polonais !) n’est insensible ni à l’esprit d’Ancien Régime ni même aux titres de noblesse. La Rochefoucauld, en débusquant le vice sous la vertu, inspire un Nietzsche clinicien qui décèle la maladie derrière l’apparente bonne santé de la civilisation.
Au fond, le double regard de La Rochefoucauld, qui toujours voit les motifs cachés à l’inverse des principes proclamés, se retrouve avec un perspectivisme historique au principe même de La Généalogie de la morale. C’est pourtant ailleurs, dans Le Gai savoir ou dans les notes marginales des Fragments posthumes que le grand duc moraliste se trouve cité. Et il l’est toujours d’une manière lapidaire, sans autre forme de protocole, comme s’il s’agissait là d’une évidence, d’une indispensable référence.
Par contraste, Nietzsche réserve un tout autre traitement à Chamfort, et la raison dépasse le seul retour aux préjugés d’Ancien Régime. Son rapport au moraliste révolutionnaire, qui a préféré le suicide à la guillotine, est à la fois sans ambiguïté et de regret. L’on songe aussi à Pascal : si (pour Nietzsche) l’esprit de Pascal est gâté par le christianisme (la morale de l’esclave), celui de Chamfort l’est par l’idée révolutionnaire (l’instinct de la foule). Avec une admiration mêlée de regret, Nietzsche n’en tient pas moins Chamfort pour le plus spirituel des révolutionnaires et, à cause de cela, pour le principal responsable de la séduction exercée par la Révolution sur les esprits français et européens.
« […] il y avait en lui un instinct qui était plus fort que sa sagesse et que rien n’avait apaisé : la haine de la noblesse de race. […] S’il était demeuré plus philosophe d’un degré, la révolution aurait perdu son esprit, sa pointe tragique, son aiguillon le plus acéré : elle serait considérée comme un événement bien plus bête et séduirait moins les esprits. » (Le Gai savoir, § 95, trad. d’A. Vialatte)
Même de son cher Voltaire, incarnation même du bel esprit français, il n’en dit pas autant. Mais il est vrai, et Nietzsche l’a compris, Voltaire n’eût pas été révolutionnaire.
22:33 Publié dans Philosophia | Lien permanent | Tags : moralistes, montaigne, la rochefoucauld, chamfort, nietzsche, pascal
dimanche, 02 octobre 2005
Distinction
Qu’est-ce qui distingue le misogyne du machiste ? La distinction.
23:00 Publié dans Diplomatie | Lien permanent | Tags : sentences
Le moraliste et la morale
Le moraliste s'attaque moins à la vérité de la morale qu'à la morale de la vérité.
11:30 Publié dans Faux-semblants | Lien permanent | Tags : moralistes, sentences