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dimanche, 13 novembre 2005

Le Tristan de Sellars et Viola

Dans sa mise en scène de Tristan et Isolde à Bastille, Sellars peut plaire à ceux que ses facéties coutumières agacent et inversement. La sagesse lui viendrait-elle avec l'âge ou la peur d'affronter la chevauchée des wagnériens en furie l'aurait-elle arrêté ? Toujours est-il que sa dernière mise en scène est moins extravagante qu'on ne pouvait l'espérer ou le craindre. La seule audace - toute relative -, pouvant passer pour indignité aux yeux des plus âgés, est, au premier acte, un effeuillage sur écran, certes fait au ralenti et de chaste façon, mais dont l'utilité reste à démontrer. Au reste, pas de fausse note ; rien que de l'attendu, du grandiloquent, du grandiose.

Wagner n’est pas trahi, mais plutôt bien servi – peut-être trop même. Il y a tout à la fois trop de Wagner et trop de Sellars. Trop de Wagner, car les opéras wagnériens sont allègrement mélangés, confondus dans une série de clins d'œil incongrus ou vicieux (au premier comme au second sens du terme), enfermant le Tristan dans un cercle de significations à la portée des seuls wagnériens, mais fait surtout pour montrer la culture musicale du duo Sellars-Viola.

Trop de Sellars aussi dans cette volonté, pourtant émoussée, de choquer le bourgeois wagnérien par le recours à la vidéo et à l’effeuillage sophistiqué. Les images sont belles parfois, mais elles absorbent le jeu scénique pour devenir le spectacle principal au lieu d'être seulement la toile de fond, le décor de la scène. Tout cela est à l'opposé des conceptions artistiques ou théâtralisantes de Wagner. Au bout du compte, il reste tout de même la musique et les voix, qu'on dira irréprochables sans les comparer à celles du Tristan de Böhm (pensons à l'inoubliable Birgit Nilsson).

23:26 Publié dans Clef de sol | Lien permanent | Tags : wagner

mardi, 01 novembre 2005

Bruckner et Mahler

La symphonie mahlérienne avant que d’être une révolution est un héritage. Mahler doit beaucoup à Bruckner. Cette dette, il ne l’a jamais ni contestée ni oubliée. C’est la postérité de Mahler qui est ingrate avec Bruckner. Qui mettrait aujourd’hui Bruckner devant Mahler ?

La chronologie même en est brouillée. Prenons le dernier mouvement de la Troisième de Bruckner, écoutons cet adagio qui s’anime entre les bois et les cordes pour finir, avec l’appui des cuivres, en un allegro moderato comme une marche à travers la forêt viennoise. Une oreille attentive mais plus habituée à Mahler qu’à Bruckner croirait y reconnaître des accents mahlériens. Quel étrange renversement de perspective !

Il est bien d’autres phrases annonciatrices de Mahler chez Bruckner, notamment dans les aigus des bois du premier mouvement de la Première ou dans la sonnerie des cuivres de la fin du premier mouvement de la Troisième. Les majestueuses dissonances du premier mouvement de la Sixième de Bruckner annoncent aussi clairement celles de Mahler. Mais remettons la perspective dans le bon sens.

L’inclination à la lenteur, le goût pour l’ampleur de la phrase, la recherche de sonorités nouvelles sont d’abord chez Bruckner. Et puis certaines préférences instrumentales, avec la montée en puissance des cuivres (qui déjà ont acquis un autre statut depuis Wagner), comme une prise du pouvoir par les cuivres dans l’orchestre symphonique. D’emblée, la Première de Mahler ne conteste pas ce coup de force, mais le confirme. Et la parenté avec Bruckner, celui de la Troisième notamment, apparaît dès l’introduction, sans attendre l’explosion du dernier mouvement. Mahler libère, accentue là où Bruckner retient.

Il reste pourtant une communauté de sons dans certaines introductions laissées aux bois, l’irruption subséquente des cuivres, puis l’alliance des bois et des cuivres, ou encore les lents et longs crescendo des violons. Mahler, par l’utilisation d’instruments inattendus, y ajoute des incongruités sonores comme pour exprimer une ironie, un scepticisme, une perte du sens. L’atonalisme, entre ironie et subversion, n’est pas loin.

Mais entre le dernier Mahler et le dernier Bruckner, il est encore des correspondances sonores ou instrumentales, à travers notamment la primauté retrouvée des instruments à corde. Celle-ci toutefois ne sert pas les mêmes états d’âme : chez Bruckner, c’est la confiance en Dieu qui se fait mélancolie (et non doute) avec l’âge tandis que chez Mahler, c’est le doute qui se mue en désespoir. La mort d’un enfant est passée par là, mais pas seulement : l’adagio de la Dixième culminant, après les stridences angoissantes des violons, en une terrible sonnerie des cuivres traduit le désespoir d’un homme revenu de Dieu face au néant.

15:40 Publié dans Clef de sol | Lien permanent | Tags : bruckner, mahler, wagner