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vendredi, 13 mars 2015

De la conquête à la clôture du Far-West

L’Homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor est un western lumineux et riche dans la composition duquel entrent plusieurs ingrédients, dont la comédie, la chanson et l’érotisme (pour l’époque) ; mais ce n’est pas par ces trois ingrédients qu’il est le plus intéressant. L’intérêt du film réside surtout dans l’exemplarité morale d’un aîné vis-à-vis d’un plus jeune (les rapports entre Kirk Douglas et William Campbell) et la transformation de l’Ouest sauvage en espace clôturé. A la nostalgie de l’open range, qui est l’espace de la liberté primitive, se joint l’acceptation raisonnée de la clôture qui symbolise la civilisation moderne.

Le personnage principal incarné par Douglas – celui qui n’a pas d’étoile, c’est-à-dire pas de point fixe – exprime cette double position tout à fait déchirante (qui reflète le conservatisme contrarié de Vidor) : alors même qu’il déteste physiquement comme symboliquement les clôtures, il finit par les défendre contre l’esprit de conquête des grands propriétaires et les empiètements de leurs hommes de main. Le film marque ainsi la fin de la conquête de l’Ouest et l’entrée dans la modernité économique.

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lundi, 09 mars 2015

Trois hommes de bien au milieu du chaos

Trois personnages dominent ce western classique et néanmoins complexe qu'est L’Homme aux colts d’or d’Edward Dmytryk : le mercenaire ou prévôt (Henry Fonda) payé par une petite ville pour la protéger contre une bande de forbans, le tenancier d’un saloon (Anthony Quinn) qui est son ami et qui le protège voire le seconde, le shérif suppléant (Richard Widmark) qui est un ancien forban et qui doit tenir tête au chef de la bande comme au prévôt pour faire triompher le droit.

Les trois hommes qui ont une face sombre ou un passé trouble défendent voire représentent une certaine idée du bien. Mieux encore, leur destin est celui d'une rédemption ou d'un sacrifice. La rédemption est d’abord celle de l’ancien forban devenu shérif par dégoût de la lâcheté et de l’injustice. C’est également celle du mercenaire que meut l’intérêt, mais aussi le courage et l’amitié, et qui finalement, dans un geste magnifique (le jet des colts d’or), renonce au mercenariat. Reste le troisième homme qui, sous des dehors cyniques, incarne à sa façon le sacrifice puisqu’il a consacré sa vie à la dévotion et à la protection de son ami.

L’amitié est un des grands thèmes du film qui est traité sur un mode ambigu ou simplement extrême. A cet égard, la douleur profonde et la quasi-démence (voir l’incendie volontaire du saloon) dans lesquelles la mort de son ami plonge le personnage joué par Fonda impressionnent et interrogent (quelle était donc l’origine ou la nature de cette amitié aussi forte ?). L’autre grand thème est évidemment celui du droit et de la justice. Le personnage joué par Widmark, avec ses doutes et ses faiblesses, symbolise à merveille l’avènement difficile du droit dans le Far West. Mais l’Etat de droit triomphe finalement du désordre, de l’injustice et de la justice privée. C’est aussi cela que montre ce grand western.

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mardi, 03 février 2015

La Nuit nous appartient ou le retour du fils prodigue

La Nuit nous appartient de James Gray est un film qui se situe entre Scorsese et Cimino. Trois hommes appartenant à la communauté polono-américaine de New York dans les années 1980 : un père policier et ses deux fils, l’un également policier, l’autre tenancier trouble de boîte de nuit. Une tentative d’assassinat contre le bon fils, puis la mort du père rédemptent le mauvais fils.

Tous les ingrédients du grand cinéma américain sont réunis ici : la division de la famille, la lutte entre le bien et le mal, la vengeance et la rédemption. Ce qui constitue le fond commun aux deux genres typiquement américains que sont le western et le polar (ou le film noir). Les grands espaces extérieurs sont seulement remplacés par de grands espaces confinés, aux sublimes lumières mordorées. La belle musique de Kilar, qui s’apparente par la polonité et les sonorités à celle de Preisner, souligne la dimension religieuse de ce qui ressemble à un moderne – et très violent – retour du fils prodigue.

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samedi, 12 juillet 2008

Exégèse du Décalogue de Kieslowski

Dans Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski, aucun commandement n’est réfuté ; tous sont confirmés. La violation d’un commandement se paie toujours d’un malheur. Le réalisateur semble croire à la vérité, à la nécessité du décalogue ; mais cette foi n’est pas forcément une foi en Dieu.

Dans le monde de Kieslowski, Dieu n’apparaît pas : il est caché ou il n’existe pas. Il peut y avoir un décalogue sans Dieu. Mais est-ce vraiment le cas ? Il y a des signes, sinon des preuves, d’un autre ordre de réalité. Celui-ci est figuré par un personnage muet qui apparaît dans presque tous les films du cycle. Peut-être est-ce un ange, qui tantôt avertit (Décalogue 5), tantôt constate (Décalogue 9).

En l’absence d'un Dieu visible, ce personnage semble être le seul intercesseur entre l’homme et le divin – et non seulement entre le spectateur et le réalisateur, puisqu’il lui arrive même de se tourner vers l’œil de la caméra (Décalogue 1). Il est d’ailleurs bien d’autres personnages mais aussi des objets qui font signe et qui donnent à croire à autre chose qu’à la réalité positive. Kieslowski moraliste, sinon chrétien, est évidemment un faux réaliste.

Décalogue 1 : Un seul Dieu tu adoreras. La raison humaine, scientifique est démentie par les faits, infirmée par la fatalité, comme désavouée par Dieu. La mort d’un enfant est la sanction.

Décalogue 2 : Tu ne commettras point de parjure. Qui commet le parjure ? La femme qui trompe le mari ou le médecin qui trompe peut-être la femme ? Le pronostic du médecin sur la maladie du mari est démenti par les faits : une fois encore, la raison humaine est mise en échec. Et la morale triomphe puisqu’il n’y a pas d’avortement.

Décalogue 3 : Tu respecteras le jour du Seigneur. Un couple irrégulier qui ne l’observe pas frôle la mort. Mais il se met à l’observer et se sauve grâce à cela. C’est encore une victoire de la morale, mais d’une morale raisonnable – et non forcément religieuse – ici.

Décalogue 4 : Tu honoreras ton père et ta mère. La tentation de l’inceste entre un père et sa fille, une tentation réciproque encouragée par le doute sur la filiation. Mais le père résiste et la vieille morale universelle est sauve.

Décalogue 5 : Tu ne tueras point. Le commandement s’adresse à tous, bien que le mal soit partout. La victime ne vaut guère mieux que le meurtrier, et la justice est aussi impitoyable que le meurtrier. L’illustration est ici militante, le plaidoyer contre la peine de mort évident.

Décalogue 6 : Tu ne seras pas luxurieux. Un jeune homme qui observe les ébats nocturnes d’une femme s’éprend d’elle. Celle-ci l’apprend, en joue et s’offre au voyeur. Mais la luxure rend l’amour impossible. La pécheresse devient malheureuse et le jeune voyeur, dans son innocence, est rédempté par sa tentative de suicide avortée.

Décalogue 7 : Tu ne voleras pas. Qui vole ? La voleuse d’enfant n’est pas celle que l’on croit. La mère putative est volée de son enfant par la vraie mère. Mais celle-ci doit le rendre : elle ne devait pas enlever l’enfant, même pour le reprendre. Le commandement, appliqué à la lettre, conduit ici à une forme d’injustice.

Décalogue 8 : Tu ne mentiras pas. Le refus du mensonge a failli envoyer une jeune juive à la mort pendant la Guerre. Mais le refus était-il sincère ? Le Bien a finalement triomphé parce que la petite fille a été sauvée. Le commandement apparemment est sauf.

Décalogue 9 : Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui. La convoitée est aussi coupable que le convoiteur : la femme a pris un amant pour se consoler d’avoir un mari impuissant. L’amant est finalement éconduit, mais le mari manque de se tuer. La femme rend grâce à Dieu.

Décalogue 10 : Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui. Tout le monde convoite le bien d’un défunt – une collection de timbres de prix. Ses fils, non moins avides que les autres, mais plus maladroits, se la font voler. L’un d’eux s’est fait enlever un rein dans l’espoir d’obtenir un autre timbre de prix en échange. Il ne leur reste plus que ce timbre et, après une trahison, l’amour retrouvé entre frères qui n’a pas de prix.

22:29 Publié dans Kino | Lien permanent

lundi, 25 juin 2007

Monsieur Klein ou les variations sur le thème du double

Mieux qu’un film historique ou symbolique, Monsieur Klein de Joseph Losey est une illustration frappante du thème du double. On sait que ce thème archaïque a été réactivé et magnifiquement développé par le romantisme allemand. C’est sous l’influence de Hoffmann et peut-être de Chamisso que Dostoïevski a écrit Le Double qui est, avec Les Carnets du sous-sol, une de ses œuvres matricielles.

A voir ou revoir le film de Losey, on pense tout naturellement à Kafka et non à Dostoïevski. L’engrenage infernal dans lequel est pris Robert Klein fait penser – nonobstant la différence de contexte – à la ténébreuse procédure dont Joseph K. fait l’objet. Pourtant, il y a un élément supplémentaire dans l’histoire de Klein qui est commun à celle de Goliadkine – le personnage du Double de Dostoïevski : c’est la présence d’un alter ego.

Autrement dit, il y a du Goliadkine autant que du K. en Klein. Il est tourmenté par un autre Klein qui lui ressemble et qui lui reste invisible. Après avoir découvert l’existence de cet homonyme, il décide de partir à sa recherche. Inquiet mais aussi intrigué, il en cherche la trace là où des indices le mènent à dessein de trouver l’homme avec lequel il a peut-être été confondu, mais aussi quelque chose de plus obscur comme un lien secret ou une vérité cachée.

Cependant, à l’inverse du personnage de Dostoïevski, c’est Klein qui se met à ressembler à son double jusqu’à s'identifier avec lui. Il finit par partager son sort, sans qu’il ait pourtant réussi à le trouver. Il se confond avec lui dans une tragédie qui, autre différence d'avec le roman de Dostoïevski, ne contient aucun trait de comédie.

19:27 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : kafka, dostoïevski

mercredi, 31 mai 2006

Klimt vu par Ruiz

Le cinéma de Ruiz s’adresse à des initiés. Nul didactisme chez lui, ni volonté d’édification. Pas plus que Le Temps retrouvé n’était une adaptation de Proust, Klimt n’est une biographie filmée. Tout juste peut-on parler d’évocation, d’une époque tout autant que d’un peintre. Le terme qui convient le mieux est encore celui de rêverie. Une rêverie autour de Klimt.

Le film s’ouvre, au son d’une fausse musique de Mahler, sur un tableau du peintre représentant une femme du monde dans une attitude hiératique. Le portrait tourne sur lui-même comme pour annoncer le délire d’un Klimt agonisant dans sa chambre d’hôpital, à la fin de la Grande Guerre. Avec à son chevet, un Schiele dévot, pervers, presque aussi délirant que lui.

Klimt, mieux qu’un chapelet de ressouvenirs, est une suite de souvenirs rêvés, où tout s’ordonne selon la logique mêlée de la mémoire et du rêve. Les faits réels se recomposent par association d’images et d’idées. La peinture de Klimt renvoie au cinéma de Méliès, les modèles aux actrices, Vienne à Paris. Une dame parisienne à l’identité incertaine fait le lien entre les deux capitales, unifie la vie du peintre et la liberté du cinéaste. Ruiz accorde l’érotisme klimtien avec ses propres représentations de la libido, déjà révélées par Généalogies d’un crime.

A côté des alcôves agencées dans le style 1900, l’atelier du peintre comme il se doit occupe une place centrale, où les détails authentiques, connus par la photographie, se joignent à des éléments imaginaires comme la pluie de feuilles d’or provoquée par un claquement de porte. Les femmes y défilent, des modèles surtout, devenues pour certaines des maîtresses entretenues, dans une ronde étourdissante de chairs et de toilettes qui ne doit pas qu’à l’imagination du réalisateur.

Le charme néanmoins n’agit pas toujours. Discutable est le choix, motivé par un symbolisme trop explicite, d’un café viennois plus rêvé que reconstitué, où Klimt côtoie quelques figures emblématiques de la modernité viennoise (une contre-modernité en vérité). Le café, lieu névralgique s’il en est de la « Vienne 1900 », apparaît comme un théâtre d’images où le cliché voisine avec la scène symbolique. Des noms, aux pouvoirs censément magiques, y sont lancés sans retenue ni mesure. Le procédé consistant à associer des noms secondaires (Bahr, Moritz) à quelques noms phares (Loos, Wittgenstein) n’atténue pas l’impression de mauvaise représentation.

Fort heureusement, le sourire interrompt l'ennui qui, à de certains moments, envahit le spectateur. Le film est près de la farce lorsqu'il a pour cadre l'hôpital ou le café. Le personnage de Klimt est drôle quand il tourne en dérision la xénophobie d'une maîtresse juive, et la scène où éclate, après un repas convenu, la folie de sa mère et de sa soeur est irrésistible. Plaisante aussi est la trouvaille de ce personnage de fonctionnaire entremetteur qui suit le peintre à la trace, comme une ombre détachée de lui-même - Ruiz a lu les romantiques allemands.

A l’extrême fin, le symbolisme parfois pesant du film atteint à une forme de grâce naïve lorsqu’une petite fille doit accompagner le peintre vers la mort. Mais que reste-t-il de Klimt ? Sa manière a été à peine montrée, et son âme tout juste effleurée. Ruiz a fait un beau film, plastiquement remarquable, sans être allé aussi loin dans l’étude d’un grand peintre que le Van Gogh de Pialat ou même (un comble !) le Pollock de Harris.

23:15 Publié dans Kino | Lien permanent

jeudi, 16 mars 2006

Sous le soleil de Sokourov

Avec Sokourov, le cinéma russe post-soviétique tient un maître. Un nouveau Tarkovski ? Sans doute l’univers de l'un est-il différent de celui de l'autre : la religiosité y est - apparemment - absente, et la grande Histoire y est préférée à la science-fiction. Pourtant, l’œuvre de Sokourov a une profondeur qui ne se rencontre plus dans le cinéma russe, pour ne pas dire le cinéma tout court, depuis Tarkovski. Certains de ses films précédents (Mère et fils, Père, fils) ont même une parenté avec le Tarkovski profane et intimiste du Miroir, où la question de la filiation s’imbrique avec celle de la destinée. Mais depuis quelques années, l’humanité n’a plus pour Sokourov le visage d’êtres perdus, déchirés ou violents, mais celui d’autocrates isolés par le pouvoir, démoniaques, diminués ou déchus.

Après Hitler (Moloch) et Lénine (Taurus), c’est à Hirohito qu'il s’attaque - s’attache, devrait-on dire - dans son dernier film. Cela tient-il au raffinement du personnage ? Toujours est-il qu’avec Le Soleil, Sokourov, pourtant loin de la dernière maturité, est au sommet de son art. Sa maîtrise de la lumière, son travail sur le son, son souci du détail signifiant sont ceux d’un grand artiste. Le monde d’Hirohito tel qu’il nous le donne à voir est un monde clos et gris où règnent tout ensemble la lenteur, le formalisme et l’incongruité. L’empereur lui-même, moitié esthète bourgeois, moitié savant du dimanche, est un homme hors du temps, absent au monde, gauche jusqu’à la faiblesse d’esprit, et pourtant d’une finesse extrême. Il vit en pleine tragédie (c’est la fin de la Guerre), mais le malheur ne semble pas l’atteindre. Le réalisateur souligne le tragique de sa position d’empereur vaincu, déchu de son statut divin, par un filet de musique à peine perceptible, sauf quand surgissent tout d’un coup - mais délicatement - quelques notes de la Marche funèbre de Siegfried.

Pour apprécier la valeur de Sokourov, il faut imaginer un Visconti de la cinquantaine tournant déjà Mort à Venise, sans être passé par les tâtonnements de Sandra ou de L’Etranger. Sokourov a mis moins longtemps à trouver sa manière, ce style si particulier d’explorer l’esprit humain à travers la mémoire historique. Et avec Le Soleil, c’est au chef-d’œuvre qu’il atteint comme un peintre de retables dans le panneau central d'un triptyque. Mais l’ensemble constitué par les trois films-portraits historiques devrait être couronné par le thème de Faust : en fait de trilogie sur le pouvoir, Sokourov nous annonce une tétralogie. L’évocation du mythe faustien, dont Spengler disait qu’il est le mythe fondateur de la civilisation technicienne, sera peut-être son Crépuscule des dieux.

11:00 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : sokourov, tarkovski, visconti

lundi, 06 février 2006

Munich ou le désenchantement de Spielberg

Le dernier film de Spielberg est moins intéressant par ce qu’il montre de la prise d’otages de Munich et de ses suites que par ce qu’il révèle d’une œuvre en pleine évolution.

Munich est un film hybride, qui hésite entre deux genres : le film d’action et le film de réflexion. En vérité, il y a deux films dans le film, à tout le moins deux parties. La première donne à voir un film d’action qui, avec ses exécutions en série, n’est pas digne d’un grand cinéaste, mais d’un bon réalisateur de genre. Cette partie n’a que peu d’intérêt, du double point de vue artistique et philosophique. De surcroît, la reconstitution des villes où le film promène le spectateur est ratée et ce n’est pas seulement du détail, car les chefs-d’œuvre, à l’exemple des films de Visconti, sont dans les détails. La seconde partie est une œuvre de réflexion morale, qui réintroduit la complexité, l’ambiguïté et l’humanité. On pourrait dire que la seconde partie déconstruit la première, mais cela serait emphatique, et sans doute excessif. En tout cas, ce qui est parfaitement réglé dans la première partie se dérègle dans la seconde. Le film devient noir, désespéré même.

Précisons que si la seconde partie contrebalance bien la première, elle ne rétablit pas l’équilibre entre Israéliens et Palestiniens : ce film, contrairement aux affirmations de certains critiques, on peut en sourire, n’a rien d’équilibré. Munich ne montre, ne développe pour l’essentiel que le point de vue des membres du commando israélien ; les Palestiniens ne sont que des personnages-reflets sans importance ni épaisseur. Les doutes, les états d’âme, la souffrance, l’humanité sont du côté israélien. Il n'y a donc pas d'équivalence entre les uns et les autres. Ce n’est pas d’ailleurs un argument contre le film. Un cinéaste a bien le droit d’être partial, et c’est le parti pris qui fait l’œuvre. Les films d’Eisenstein peuvent être des films de propagande, ils n’en sont pas moins des grands films.

Munich est un film ambivalent, mais d’une fausse ambivalence au bout du compte. La scène finale à New York est d’un symbolisme qui ne doit pas tromper. Il s’agit d’un face-à-face entre l’ancien chef du commando israélien et son contact au sein du Mossad. Le premier, qui a quitté Israël, explique qu’il ne croit plus à l’utilité de son ancienne mission ; le second la justifie, cherche à convaincre le premier de rentrer au pays et refuse pour finir son invitation à dîner – comme pour signifier qu’on ne dîne pas avec un frère qui a déserté. Symboliquement, il y a là plus que l’abîme d’incompréhension entre le juif de la diaspora et le juif d’Israël, il y a peut-être la mauvaise conscience du réalisateur. Son écartèlement se résout par le choix de la dernière image du film qui, les personnages disparaissant, fait apparaître les Tours jumelles. La vengeance est vaine, mais le terrorisme est un péril qui menace le monde et qu’il ne faut pas renoncer à combattre.

Munich confirme l’évolution de Spielberg, qui abandonne ses dernières illusions, achève de quitter son univers de conte de fées. Le monde de Spielberg devient à la ressemblance du monde. C'est tout à la fois la maturité d'une œuvre qui se densifie depuis le tournant de Schindler et qui sanctionne la crise de l'universalisme moral. Du point de vue artistique, Spielberg opte pour un cinéma de la reconstitution plus que de l'anticipation. Même La Guerre des mondes était dans la transposition des terreurs passées. Spielberg est un cinéaste inquiet et son style s'en ressent. La technique est le refuge d'un art qui a peur de l'avenir. Elle n’est plus ici dans le déploiement de grands effets, mais dans un savant travail de l’image. Les plans panoramiques laissent la place à des plans toujours plus resserrés. L'univers se rétrécit comme si l'humanité était cernée, condamnée à attendre de nouvelles folies, de nouvelles terreurs.

Au fond, si Munich n'est pas un film passionnant, le monde de Spielberg le devient.

21:40 Publié dans Kino | Lien permanent

mercredi, 07 décembre 2005

La Révolution française vue par Rohmer

L'Anglaise et le duc est un film à deux voix, un film dialectique sur la Révolution. On y trouve, comme dans toute bonne dialectique, une thèse, une antithèse et une synthèse. Cette dernière fait pencher le film du côté de la contre-révolution, mais d'une manière habile, élégante, impressionniste, c'est-à-dire à la manière de Rohmer. Car Rohmer est moraliste, et l'impressionnisme est en art ce qui correspond le mieux à l'esprit des moralistes.

Il y a deux niveaux de critique de la Révolution française dans L'Anglaise et le duc. Le premier niveau de critique, subjectif, est incarné par l'Anglaise dont le point de vue sur la Révolution, mais aussi sur le peuple, est épidermique, réactionnaire (le peuple est regardé comme barbare, comparé à l’animalité, et la Révolution vécue comme une fin de la civilisation).

Le second niveau de critique, plus objectif, se trouve démonstrativement dans le parcours et le sort même du duc. La liberté est étouffée par la Révolution. Partant, la question de la légitimité de la Révolution est posée dans la mesure où la liberté politique aurait pu advenir au moyen d'une simple réforme de la monarchie – qui était l'idée originelle du duc. Ce point de vue correspond assez à celui de Burke, libéral et contre-révolutionnaire.

01:28 Publié dans Kino | Lien permanent

lundi, 15 août 2005

Sous le soleil de Satan : la belle inspiration de Pialat

Evidemment, le livre de Bernanos est plus riche que le film. Certaines scènes, certains personnages du livre n'apparaissent pas dans le film. Il manque aussi les pensées obscures de l'abbé Donissan, les tentations impies et pies du vieil académicien, un personnage absent du film.

Pourtant, Pialat n’est pas à blâmer ; tout au contraire, son film est magnifique. Aussi magnifique qu’un tel film, une adaptation difficile, pouvait l’être. Certaines scènes du roman - l’entrevue de Mouchette avec son amant député au lendemain du crime, la rencontre entre l’abbé Donissan et Mouchette au petit matin, le port du cadavre de Mouchette jusqu’à l’autel de l’église, le soulèvement et la résurrection de l’enfant mort - sont merveilleusement rendues. De toutes cependant, la plus réussie, la plus saisissante, la plus fascinante est l’entretien avec le diable : par une nuit de pleine lune, le Tentateur masqué en maquignon surgit de l’ombre, s'offre comme guide à un abbé Donissan perdu et épuisé, cherche à le corrompre, l'embrasse par surprise et dévoile ainsi sa vraie nature, avant d’entendre l'abbé lui dire : « Retire-toi, Satan ! »

Plus loin, on y entend aussi la voix la plus déchirante de l’abbé Donissan : « Nous sommes vaincus, vous dis-je ! Vaincus ! Vaincus ! » L’homme est vaincu, et Dieu avec lui, face au « Prince du monde », au prince de ce monde. Il n’y a rien à faire. Le malin s’insinue partout, se niche y compris au cœur du bien, irrémédiablement. Quoiqu’on fasse, c’est lui qui gagne, ici-bas, qu’on soit ou qu’on croie être avec Dieu. La joie, c’est lui ; la tristesse, encore lui ; l’espoir ou le désespoir, toujours lui. L’adorateur de Dieu n’est pas moins pécheur que l’apostat. Le ministre du Seigneur n’est pas plus saint que le serviteur du Prince. Le pécheur est l’ami, le frère du saint homme.

01:57 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : bernanos