lundi, 06 février 2006
Munich ou le désenchantement de Spielberg
Le dernier film de Spielberg est moins intéressant par ce qu’il montre de la prise d’otages de Munich et de ses suites que par ce qu’il révèle d’une œuvre en pleine évolution.
Munich est un film hybride, qui hésite entre deux genres : le film d’action et le film de réflexion. En vérité, il y a deux films dans le film, à tout le moins deux parties. La première donne à voir un film d’action qui, avec ses exécutions en série, n’est pas digne d’un grand cinéaste, mais d’un bon réalisateur de genre. Cette partie n’a que peu d’intérêt, du double point de vue artistique et philosophique. De surcroît, la reconstitution des villes où le film promène le spectateur est ratée et ce n’est pas seulement du détail, car les chefs-d’œuvre, à l’exemple des films de Visconti, sont dans les détails. La seconde partie est une œuvre de réflexion morale, qui réintroduit la complexité, l’ambiguïté et l’humanité. On pourrait dire que la seconde partie déconstruit la première, mais cela serait emphatique, et sans doute excessif. En tout cas, ce qui est parfaitement réglé dans la première partie se dérègle dans la seconde. Le film devient noir, désespéré même.
Précisons que si la seconde partie contrebalance bien la première, elle ne rétablit pas l’équilibre entre Israéliens et Palestiniens : ce film, contrairement aux affirmations de certains critiques, on peut en sourire, n’a rien d’équilibré. Munich ne montre, ne développe pour l’essentiel que le point de vue des membres du commando israélien ; les Palestiniens ne sont que des personnages-reflets sans importance ni épaisseur. Les doutes, les états d’âme, la souffrance, l’humanité sont du côté israélien. Il n'y a donc pas d'équivalence entre les uns et les autres. Ce n’est pas d’ailleurs un argument contre le film. Un cinéaste a bien le droit d’être partial, et c’est le parti pris qui fait l’œuvre. Les films d’Eisenstein peuvent être des films de propagande, ils n’en sont pas moins des grands films.
Munich est un film ambivalent, mais d’une fausse ambivalence au bout du compte. La scène finale à New York est d’un symbolisme qui ne doit pas tromper. Il s’agit d’un face-à-face entre l’ancien chef du commando israélien et son contact au sein du Mossad. Le premier, qui a quitté Israël, explique qu’il ne croit plus à l’utilité de son ancienne mission ; le second la justifie, cherche à convaincre le premier de rentrer au pays et refuse pour finir son invitation à dîner – comme pour signifier qu’on ne dîne pas avec un frère qui a déserté. Symboliquement, il y a là plus que l’abîme d’incompréhension entre le juif de la diaspora et le juif d’Israël, il y a peut-être la mauvaise conscience du réalisateur. Son écartèlement se résout par le choix de la dernière image du film qui, les personnages disparaissant, fait apparaître les Tours jumelles. La vengeance est vaine, mais le terrorisme est un péril qui menace le monde et qu’il ne faut pas renoncer à combattre.
Munich confirme l’évolution de Spielberg, qui abandonne ses dernières illusions, achève de quitter son univers de conte de fées. Le monde de Spielberg devient à la ressemblance du monde. C'est tout à la fois la maturité d'une œuvre qui se densifie depuis le tournant de Schindler et qui sanctionne la crise de l'universalisme moral. Du point de vue artistique, Spielberg opte pour un cinéma de la reconstitution plus que de l'anticipation. Même La Guerre des mondes était dans la transposition des terreurs passées. Spielberg est un cinéaste inquiet et son style s'en ressent. La technique est le refuge d'un art qui a peur de l'avenir. Elle n’est plus ici dans le déploiement de grands effets, mais dans un savant travail de l’image. Les plans panoramiques laissent la place à des plans toujours plus resserrés. L'univers se rétrécit comme si l'humanité était cernée, condamnée à attendre de nouvelles folies, de nouvelles terreurs.
Au fond, si Munich n'est pas un film passionnant, le monde de Spielberg le devient.
21:40 Publié dans Kino | Lien permanent
mercredi, 07 décembre 2005
La Révolution française vue par Rohmer
L'Anglaise et le duc est un film à deux voix, un film dialectique sur la Révolution. On y trouve, comme dans toute bonne dialectique, une thèse, une antithèse et une synthèse. Cette dernière fait pencher le film du côté de la contre-révolution, mais d'une manière habile, élégante, impressionniste, c'est-à-dire à la manière de Rohmer. Car Rohmer est moraliste, et l'impressionnisme est en art ce qui correspond le mieux à l'esprit des moralistes.
Il y a deux niveaux de critique de la Révolution française dans L'Anglaise et le duc. Le premier niveau de critique, subjectif, est incarné par l'Anglaise dont le point de vue sur la Révolution, mais aussi sur le peuple, est épidermique, réactionnaire (le peuple est regardé comme barbare, comparé à l’animalité, et la Révolution vécue comme une fin de la civilisation).
Le second niveau de critique, plus objectif, se trouve démonstrativement dans le parcours et le sort même du duc. La liberté est étouffée par la Révolution. Partant, la question de la légitimité de la Révolution est posée dans la mesure où la liberté politique aurait pu advenir au moyen d'une simple réforme de la monarchie – qui était l'idée originelle du duc. Ce point de vue correspond assez à celui de Burke, libéral et contre-révolutionnaire.
01:28 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : rohmer
lundi, 15 août 2005
Sous le soleil de Satan : la belle inspiration de Pialat
Evidemment, le livre de Bernanos est plus riche que le film. Certaines scènes, certains personnages du livre n'apparaissent pas dans le film. Il manque aussi les pensées obscures de l'abbé Donissan, les tentations impies et pies du vieil académicien, un personnage absent du film.
Pourtant, Pialat n’est pas à blâmer ; tout au contraire, son film est magnifique. Aussi magnifique qu’un tel film, une adaptation difficile, pouvait l’être. Certaines scènes du roman - l’entrevue de Mouchette avec son amant député au lendemain du crime, la rencontre entre l’abbé Donissan et Mouchette au petit matin, le port du cadavre de Mouchette jusqu’à l’autel de l’église, le soulèvement et la résurrection de l’enfant mort - sont merveilleusement rendues. De toutes cependant, la plus réussie, la plus saisissante, la plus fascinante est l’entretien avec le diable : par une nuit de pleine lune, le Tentateur masqué en maquignon surgit de l’ombre, s'offre comme guide à un abbé Donissan perdu et épuisé, cherche à le corrompre, l'embrasse par surprise et dévoile ainsi sa vraie nature, avant d’entendre l'abbé lui dire : « Retire-toi, Satan ! »
Plus loin, on y entend aussi la voix la plus déchirante de l’abbé Donissan : « Nous sommes vaincus, vous dis-je ! Vaincus ! Vaincus ! » L’homme est vaincu, et Dieu avec lui, face au « Prince du monde », au prince de ce monde. Il n’y a rien à faire. Le malin s’insinue partout, se niche y compris au cœur du bien, irrémédiablement. Quoiqu’on fasse, c’est lui qui gagne, ici-bas, qu’on soit ou qu’on croie être avec Dieu. La joie, c’est lui ; la tristesse, encore lui ; l’espoir ou le désespoir, toujours lui. L’adorateur de Dieu n’est pas moins pécheur que l’apostat. Le ministre du Seigneur n’est pas plus saint que le serviteur du Prince. Le pécheur est l’ami, le frère du saint homme.
01:57 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : bernanos

