Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 10 octobre 2024

L'Armée des ombres ou la Tragédie intérieure de la Résistance

L’Armée des ombres, qui fut d’abord un roman de Joseph Kessel (écrit en 1943) et que Jean-Pierre Melville a voulu plus resserré pour l’adapter au cinéma (en 1969), met en scène un petit groupe de résistants au cœur de la France occupée. Ceux-ci sont conduits à mener des actions de sabotage contre l’Occupant, mais aussi des opérations de sauvetage pour eux-mêmes. Ils doivent se sauver ou se sacrifier, tuer un frère ou une sœur d’armes s’il le faut, et non seulement étrangler un traître d’occasion ou trancher la gorge d’un soldat ennemi. La Résistance fut une école de courage, mais aussi et surtout une leçon de philosophie pratique, un cas de conscience à trancher, un choix essentiel à faire pour la vie de chacun et du groupe.

C’est ce que montre L’Armée des ombres et plus encore, car il y a l’art de Melville et son sens de la dramaturgie. Si son film est aussi remarquable, c’est que tout y concourt artistiquement, entre le soin apporté à l'image dominée par des nuances de vert-de-gris et le choix d'une musique cérémonieuse et tragique (composée par Eric Demarsan), sans oublier la direction rigoureuse des acteurs (il faudrait pouvoir les mentionner tous), la sécheresse janséniste des dialogues et cette idée de la voix narrative du tout premier personnage du film, Philippe Gerbier, magnifiquement incarné par Lino Ventura.

Ce qui rend par-dessus tout le film admirable et même bouleversant, c'est le tableau d'une Résistance en vase clos, formant un monde à l'intérieur du monde, où le moindre fait, geste ou mot prend une importance immense. Et c'est au sein de ce monde intérieur, comme un huis clos quasi permanent, en dépit des ouvertures ou des échappées vers l'extérieur, que se joue le drame du petit groupe de résistants, qui, abandonnés à leurs peurs et à leurs dilemmes moraux, portent avec eux tout le poids de la tragédie humaine.

10:02 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : melville

lundi, 09 septembre 2024

Le Crabe-Tambour ou le Chant funèbre de l'amitié

Le film de Pierre Schoendoerffer sorti en 1977, plus encore que son livre éponyme (qui obtint le grand prix de l'Académie française en 1976) du fait des coupures auxquelles il dut procéder, est un hymne à l’amitié et, en particulier, un hommage à l’ami absent, devenu par son absence même, mais aussi par ses faits d’armes et sa passion des chats noirs, un héros de légende dont le souvenir lumineux, à peine assombri par des choix dissidents, occupe l’esprit de deux hommes.

Une mission en mer qui réunit l’un, commandant d’un escorteur (Jean Rochefort), et l’autre, médecin-major (Claude Rich), est l’occasion de ressouvenirs partagés au sujet de l’absent (Jacques Perrin), qui promènent le spectateur par les mers et les océans – à travers des images d’une beauté crépusculaire – jusqu’au bout du monde. La mémoire en cause ici est celle de quelques soldats égarés, de guerres perdues et d’un pays rétréci, dont la grandeur n’est plus qu’une idée ou une nostalgie.

Après la révélation du mal et peut-être du remords qui rongent le commandant, l’hymne à trois voix (si l’on ajoute celle du chef mécanicien de l’escorteur) prend la forme d’une cérémonie des adieux au milieu d’un océan glacial, indifférent et déchaîné à la fois, où il est dit adieu aux armes, à l’amitié et à la vie. Il prend fin, comme une méditation poétique ou une élégie funèbre, dans un cimetière marin sur fond de musique atonale.

10:23 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : schoendoerffer

dimanche, 18 août 2024

Le Samouraï de Melville : un film religieux sans Dieu

Le Samouraï qui peut être vu comme le chef-d'œuvre de Jean-Pierre Melville – est bien plus qu’un film policier ; c’est un film religieux, sacré ou sacral, où tout est rituel et cérémonial jusqu’à la fin sacrificielle du héros, qui tient du martyr autant que de l’antihéros. Chaque image est une icône, chaque plan une prière et chaque scène une cérémonie. C’est le film le plus religieux qui soit, où pourtant il n’est jamais question de religion, ni même de Dieu.

10:31 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : melville

lundi, 18 décembre 2023

La Perfection des jours selon Wenders

L’histoire de Perfect Days est merveilleusement simple, presque saugrenue : au cœur de Tokyo, un homme mûr et solitaire écoute de la musique, lit de la poésie et photographie des arbres, lorsqu’il ne récure pas des toilettes publiques. La nuit, il fait des rêves nébuleux et nostalgiques. Sa vie est en tous points réglée, ritualisée comme celle d’un moine ou d’un oblat appartenant à une communauté invisible.

Loin d’ennuyer, ce film réalisé avec finesse amuse, émeut et enchante. Mieux : il édifie. Il montre que le bonheur se suffit des choses les plus simples jusque dans leur répétition quotidienne. Tout est une question de rite, sans même que la foi soit nécessaire. L’esprit d’Ozu, si cher à Wenders, n’est pas très loin.

10:16 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : ozu, wenders

mercredi, 04 octobre 2023

L'Eternel Retour du même à Marienbad

L’Année dernière à Marienbad fascine comme une énigme. Le film d'Alain Resnais est construit comme un roman de Robbe-Grillet, avec une temporalité circulaire qui tourne autour d'un point fixe du passé, aussi incertain que lancinant. C'est cette lancinance qui, au lieu de lasser, capte et même capture le spectateur, saisi qu'il est par une impression d'éternel retour du même dans le décor labyrinthique et néanmoins somptueux d'un château baroque sur fond de musique d'orgue. Le doute l'envahit comme il s'empare des deux personnages principaux du film qui ne savent pas s'ils ont vécu ou rêvé une liaison l'année précédente à Marienbad ; mais l'emporte pour le spectateur une expérience visuelle unique qui s’accompagne d’un questionnement métaphysique sur la mémoire, le temps et une éternité possible.

00:52 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : resnais

vendredi, 30 juin 2023

Le Testament de Melville

Un flic est le film-testament de Jean-Pierre Melville, avec tous les éléments qui caractérisent son style et son univers : le mystère, le mot rare, les silences. Il n'y a pas que des histoires d'hommes, il y a de la métaphysique chez Melville.

11:46 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : melville

lundi, 30 janvier 2023

La Phénoménologie de l'angoisse dans L'Eclipse d'Antonioni

Dès le générique, le ton est donné : une chanson légère au rythme endiablé des années 1960 cède la place à une musique atonale évoquant un carambolage. La discordance se poursuit en images : une longue scène silencieuse, de rupture en vérité, tout juste émaillée de quelques mots, se clôt par l’ouverture d’un rideau sur un château d'eau en forme de champignon atomique. L’étrangeté surgit après la banalité.

Le grand plasticien qu'est Antonioni fait de la philosophie en images dans un esprit assez proche de la phénoménologie, avec des regards ou des gestes plus qu'avec des mots. Mais son goût pour la peinture donne un traitement particulier du décor urbain qui tourne parfois à l'abstraction. Ainsi y a-t-il comme du Nicolas de Staël dans des plans cadrés sur des angles ou des pointes d’immeubles modernes.

Tout le film joue sur un perpétuel va-et-vient entre la quotidienneté absurde et néanmoins rassurante de la vie sociale et une angoisse sourde, profonde, de l'humanité, à la fois individuelle et collective. Depuis le Krach à la bourse de Rome jusqu’au risque de guerre atomique annoncé en caractères gras par L'Espresso, une menace plane sur un monde en crise qui est celle de l'anéantissement total.

00:14 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : antonioni, nicolas de staël

lundi, 12 décembre 2022

Un chef-d’œuvre méconnu : La Poupée de Wojciech Has

Il est des films qui vous font vivre une véritable expérience visuelle ou artistique. Assurément, La Poupée de Wojciech Has – qui date de 1968 – est de ceux-là. Rappelons qu’il y eut un grand cinéma polonais dont les noms les plus connus de ses représentants ne disent pas toute l’importance, puisqu’un réalisateur aussi remarquable que Has (1925-2000) – surtout connu pour le Manuscrit trouvé à Saragosse – demeure mal connu.

La Poupée est l’adaptation d’un roman de l’écrivain polonais Boleslaw Prus (1847-1902), dont l’ensemble de l’œuvre, par la peinture qu’elle donne d’une époque (celle de la Pologne sous domination russe et austro-hongroise), se situe entre Balzac et Zola, avec une touche de Tolstoï en plus. L’argument du film est celui-ci : un homme qui s’est enrichi par le commerce et veut se faire une place dans la haute société varsovienne cherche à conquérir une jeune aristocrate, aussi troublante que désargentée.

Le film est passionnant à plus d’un titre. Tout d’abord, il donne à voir le tableau baroque et néanmoins accablant d’une société aristocratique sur le déclin comme nous pouvons en voir chez Visconti. Ensuite, il fait le portrait subtil et contrasté d’un parvenu – assez proche de certains personnages balzaciens – dont la réussite n’est qu’apparence et insatisfaction. Enfin et surtout, il témoigne de toute l’étendue des talents d’un réalisateur qui est peintre tout autant que cinéaste et scénariste.

Le style de Has est fait principalement de lents travellings latéraux qui entretiennent une forme de mystère et plongent le spectateur dans un monde se tenant à mi-chemin de la rêverie et du cauchemar. La Poupée est un va-et-vient entre deux réalités ou les deux faces d’une même réalité : le faste des salons et la misère des bas-fonds, la dureté des rapports de classes et la trompeuse illusion des sentiments.

L’alternance ou le mélange des genres réaliste et romantique maintient le film dans une tension permanente (entretenue également par la musique étrangement inquiétante de Kilar) qui ne peut trouver sa résolution que dans le drame. Ainsi le désir de conquête s’accompagne-t-il d’humiliations jusqu’à la plus grande d’entre elles, dont il n’est possible de sortir que par la mort ou la fuite. Le dénouement du film est amer, et le spectateur peut y voir une morale ou simplement une leçon de vie.

23:54 Publié dans Kino | Lien permanent

samedi, 23 juillet 2022

Le Jour dit d'Alain Leroy

Le 23 juillet est le jour d’un suicide connu de quelques cinéphiles et amateurs de littérature. En vérité, il s’agit surtout de cinéphiles puisque cette date n’apparaît pas dans le roman dont le film est l’adaptation et où seul est indiqué le mois de novembre (c'est une « belle nuit de novembre » qui précède le matin du suicide).

Le film porte le même titre que le livre (Le Feu follet), mais le personnage d’Alain est affublé du patronyme de Leroy qu’il n’a pas dans le roman comme pour signifier qu'il fut, avant la cure de désintoxication dans une clinique de Versailles, le roi des nuits parisiennes. La date du 23 juillet est écrite au feutre sur le miroir de la chambre d'Alain et entourée d’un cercle pour marquer la détermination du personnage à mourir à cette date.

A la force du texte de Drieu la Rochelle vient s’ajouter la grâce d’un film qui doit autant à la réalisation en clair-obscur de Louis Malle et au jeu criant de vérité de Maurice Ronet qu’à la musique mélancoliquement insolite d'Erik Satie.

20:40 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : mélancolie, drieu, malle, satie

dimanche, 22 mai 2022

La Mafia vue par Bellocchio

Le Traître de Marco Bellocchio est un film-portrait autour de la figure de Tommaso Buscetta, mafieux repenti, qui a collaboré avec le juge Falcone et dénoncé ses anciens camarades de la Mafia. Le premier intérêt de ce film est l’exploration de la personnalité de Buscetta, qui se veut un homme d’honneur et un tenant de la vieille Mafia contre la nouvelle, mais qui a aussi sa part de culpabilité, de brutalité et de mégalomanie. Dans un monde de fous criminels comme les mafieux, le repenti ne devient pas un ange par la grâce de la repentance ; il ne peut être qu’un demi-rédempté.

Le second intérêt du film est de rappeler ou de montrer la réalité d’un milieu qui vit à la fois du crime et de son déni. Le défi côtoie le déni, la barbarie le mensonge, la tragédie la comédie. Ainsi les grands procès de la Mafia, que reconstitue le film, tournent-ils par moments au spectacle de cirque. L’outrance des postures ou des situations n’est pas qu’un effet de mise en scène ; elle correspond à un sens de la théâtralité que, par le goût de la provocation, cultivent les mafieux eux-mêmes. Il est donc permis, comme le fait Bellocchio, de recourir à des airs d’opéra pour clore des chapitres ou plutôt des actes du film.

23:32 Publié dans Kino | Lien permanent