lundi, 30 janvier 2023
La Phénoménologie de l'angoisse dans L'Eclipse d'Antonioni
Dès le générique, le ton est donné : une chanson légère au rythme endiablé des années 1960 cède la place à une musique atonale évoquant un carambolage. La discordance se poursuit en images : une longue scène silencieuse, de rupture en vérité, tout juste émaillée de quelques mots, se clôt par l’ouverture d’un rideau sur un château d'eau en forme de champignon atomique. L’étrangeté surgit après la banalité.
Le grand plasticien qu'est Antonioni fait de la philosophie en images dans un esprit assez proche de la phénoménologie, avec des regards ou des gestes plus qu'avec des mots. Mais son goût pour la peinture donne un traitement particulier du décor urbain qui tourne parfois à l'abstraction. Ainsi y a-t-il comme du Nicolas de Staël dans des plans cadrés sur des angles ou des pointes d’immeubles modernes.
Tout le film joue sur un perpétuel va-et-vient entre la quotidienneté absurde et néanmoins rassurante de la vie sociale et une angoisse sourde, profonde, de l'humanité, à la fois individuelle et collective. Depuis le Krach à la bourse de Rome jusqu’au risque de guerre atomique annoncé en caractères gras par L'Espresso, une menace plane sur un monde en crise qui est celle de l'anéantissement total.
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vendredi, 31 août 2018
La Solitude des femmes entre elles
Femmes entre elles : le titre est édulcoré en comparaison de celui de la nouvelle de Pavese (Entre femmes seules) dont le film d'Antonioni - sorti en 1955 - est l’adaptation. Derrière la frivolité qu’il annonce, il y a un drame, une tragédie même. Tout commence par une tentative de suicide qui sème le trouble, mais à peine, le temps pour un groupe d’amies d’en faire le reproche à celle qui en est à l’origine. Puis, la légèreté reprend son cours, entre flirt et infidélité. Mais la gravité travaille en souterrain : l’interrogation demeure, l’inquiétude aussi, et surtout la difficulté de vivre. Elle est commune à tous les personnages, de Clelia l’ambitieuse à Rosetta la suicidaire, en passant par Momina la volage, Nene la généreuse, Lorenzo le raté ou encore Cesare le coureur. Chacun éprouve à sa façon la solitude intérieure, l’incommunicabilité avec les autres et l’impossibilité de l’amour. Et s’il n’y a qu’une femme qui tombe au bout du compte, c’est que les autres s’agrippent à quelque chose ou choisissent de fuir.
23:06 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : antonioni, pavese
mardi, 31 juillet 2018
Laura nue : le film antonionien de Nicolò Ferrari
Le sujet de Laura nue est le mal d'amour d’une jeune mariée de vingt ans dans la Vérone du début des années 1960. Ce film en noir et blanc assez dépouillé dans la forme, tout en gros plans, avec un fond de musique mélancolique, s’inscrit dans une veine très antonionienne. Le mal de vivre, l’impossibilité d’aimer ou d’être heureux, l’incommunicabilité entre les êtres sont les thèmes profonds d’une œuvre qui témoigne d’une époque (le creux ou le contrecoup du miracle économique italien) et qui ne serait peut-être pas passée inaperçue sans les films contemporains – et plastiquement plus remarquables – d’Antonioni.
22:38 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : antonioni, mélancolie
lundi, 22 juin 2015
Antonioni, peintre autant que cinéaste
Le fil conducteur de l’exposition de la Cinémathèque est Antonioni dans ses rapports avec la peinture. Une phrase du maître reproduite sur la première cimaise dit tout du grand projet antonionien : « Je crois qu’il importe aujourd’hui que le cinéma se tourne vers cette forme intérieure, vers ces expressions absolument libres comme est libre la littérature, comme est le libre la peinture qui parvient à l’abstraction. » Le dernier point de comparaison est essentiel. Antonioni est avant tout un plasticien, et pas seulement au cinéma, puisqu’il était également peintre, ce que montre bien l’exposition à travers la série des « Montagnes enchantées » notamment.
C’est par cette dimension plastique que l’on touche à la puissance et à la singularité de son œuvre. Car Antonioni ne s’est pas contenté de peindre ou de faire des fresques comme Fellini ou Visconti ; il a fait de l’image elle-même, non seulement sa matière première, mais encore l’objet d’une quête fondamentale, comme la recherche d’une vérité ou d’une forme sans représentation. Ainsi a-t-il rejoint par la voie du cinéma l’abstraction picturale et réussi à transposer celle-ci au cinéma comme peuvent en témoigner certains plans de sa trilogie en noir et blanc des années 1960 et, tout particulièrement, son dernier volet, L’Eclipse.
Il y avait également chez lui une tension entre la visée d’une intemporalité intérieure et le souci d’une temporalité historique (la pauvreté paysanne, la menace atomique, les ravages de l’industrie chimique, le Swinging London, l’Amérique de la Contestation). Ce souci a suivi tout le long de son œuvre une courbe irrégulière qui a toutefois atteint son point culminant au tournant des années 1960-70, avec Zabriskie Point. Peut-être n’a-t-il réussi à s’en libérer que sur le tard pour arriver à une pureté plastique coïncidant avec une authentique vérité intérieure, dans Identification d’une femme ou Par-delà les nuages.
01:18 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : antonioni