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mardi, 10 octobre 2006

Un grand moraliste : Nicolás Gómez Dávila

Son nom n'est pas encore illustre, mais il le devient. Gómez Dávila s'impose peu à peu, au rythme des traductions, comme le grand moraliste qu'il est et non seulement comme le doctrinaire de la Réaction qu'il paraît être.

Moraliste, il l’est par le style, par le recours quasi exclusif à la forme brève, à la maxime et à la sentence. Il l’est aussi par l’esprit, par l’acuité du regard sur la société des hommes, par le souci de mettre à nu la vertu. Il se distingue néanmoins d’un La Rochefoucauld en s’attaquant, non à la vieille vertu, mais à la nouvelle, liée à l’esprit démocratique. Derrière elle, il voit les vices ordinaires qui font les révolutions comme l’envie, la jalousie et le ressentiment. Ainsi note t-il, comme eût pu le faire Rivarol : « Le révolutionnaire est, en fin de compte, un individu qui n’ose pas chaparder tout seul. »

Réactionnaire, Gómez Dávila l’est sans doute, encore que le titre choisi pour la traduction française d’un recueil de ses scolies, Le Réactionnaire authentique, l’enferme par trop dans une catégorie politique. C’est avant tout en croyant qu’il pourfend la modernité et tout ce qui lui fait suite : le postulat de l’égalité, l’idéologie du progrès, le système démocratique (cf. Les Horreurs de la démocratie). Tout cela pour lui procède de l’idée, fausse, qu’il puisse y avoir une solution humaine au problème de l’homme. La solution ne peut être que métaphysique, impliquant la réintroduction d’une transcendance dans l’ordre politique.

La posture réactionnaire de Gómez Dávila n’en fait pas un doctrinaire. Il condamne les désordres modernes plus qu’il ne prône un retour à l’ordre ancien. Croit-il seulement à ce retour ? Il y a chez lui de la nostalgie plus que de l’espérance, et certainement pas une théologie politique aussi élaborée que chez Donoso Cortés. Ce serait même lui faire injure que de la chercher, sa pensée refusant, par le choix de l’aphorisme, toute systématique, même si parfois elle n’échappe pas à l’esprit de système. Ainsi lorsqu’il trouve à la gauche les défauts les plus absurdes.

L’ironiste néanmoins l’emporte sur le partisan, et le moraliste sur le croyant. Même sous le catholique anti-conciliaire perce un secret scepticisme : « Sans le sourire du sceptique, écrit-il, la métaphysique débouche sur des spéculations gnostiques. » Son catholicisme est une esthétique qu’il oppose à un « christianisme adultéré en manuel de recettes éthiques », rejoignant ainsi la critique nietzschéenne de la moraline et du mol humanitarisme. Il y a en lui du libre-penseur, du libre-croyant à l’intérieur de l’Eglise. Il voit assez finement dans l’orthodoxie « la tension entre deux hérésies » et s’autorise une belle irrévérence en soupçonnant tout ecclésiastique de « confondre le blasphème avec le coup d’épingle qui dégonfle sa suffisance. »

Gómez Dávila est bien un fin moraliste, un penseur subtil sous des dehors intransigeants. Il est croyant, mais aussi sceptique ; nostalgique, mais aussi lucide. Le monde qu’il vitupère, il le comprend mieux que quiconque. La meilleure preuve de sa pénétration est encore dans cette formule qui pourrait être de Cioran : « L’ennui est le vestige de la transcendance disparue. »

vendredi, 03 février 2006

De l'importance des fréquentations

La Rochefoucauld voit le vice derrière la vertu, Vauvenargues la passion derrière la raison, Chamfort le règne de l’opinion derrière la règle sociale. Quoi de plus naturel ? Le premier a fréquenté la cour, le deuxième les casernes, le troisième les cafés.

jeudi, 01 décembre 2005

La démocratie dans les alcôves

Pour nos modernes professeurs de morale, il n’est qu’une seule limite à la liberté sexuelle : le consentement mutuel. L'expression "entre adultes consentants" est le nouveau credo que tout le monde connaît par cœur. Autrement dit, tout est possible à condition d’en avoir la permission. Cette plaisante conception de la liberté se trouve déjà chez Chamfort : "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne : voilà, je crois, toute la morale." C’est l’introduction de la démocratie dans les alcôves. Le siècle des Lumières a décidément pensé à tout.

10:30 Publié dans Eros | Lien permanent | Tags : moralistes, chamfort

lundi, 03 octobre 2005

Deux moralistes sous l’œil de Nietzsche

Chamfort a le sens de l’observation quand La Rochefoucauld a le sens de l’introspection. L’un s’attache surtout à la société, l’autre à l’âme humaine. Chamfort est plus empiriste que moraliste. Et son empirisme l’empêche parfois de se libérer de l’empire des apparences.

Nietzsche ne s’y trompe pas, qui invoque plus volontiers La Rochefoucauld que Chamfort. De tous les moralistes français, La Rochefoucauld est peut-être celui qui, avec Montaigne, a les plus grandes faveurs de Nietzsche. Pas seulement parce qu’il est un duc authentique – et le fils de pasteur roturier (tant pis pour ses faux ancêtres nobles polonais !) n’est insensible ni à l’esprit d’Ancien Régime ni même aux titres de noblesse. La Rochefoucauld, en débusquant le vice sous la vertu, inspire un Nietzsche clinicien qui décèle la maladie derrière l’apparente bonne santé de la civilisation.

Au fond, le double regard de La Rochefoucauld, qui toujours voit les motifs cachés à l’inverse des principes proclamés, se retrouve avec un perspectivisme historique au principe même de La Généalogie de la morale. C’est pourtant ailleurs, dans Le Gai savoir ou dans les notes marginales des Fragments posthumes que le grand duc moraliste se trouve cité. Et il l’est toujours d’une manière lapidaire, sans autre forme de protocole, comme s’il s’agissait là d’une évidence, d’une indispensable référence.

Par contraste, Nietzsche réserve un tout autre traitement à Chamfort, et la raison dépasse le seul retour aux préjugés d’Ancien Régime. Son rapport au moraliste révolutionnaire, qui a préféré le suicide à la guillotine, est à la fois sans ambiguïté et de regret. L’on songe aussi à Pascal : si (pour Nietzsche) l’esprit de Pascal est gâté par le christianisme (la morale de l’esclave), celui de Chamfort l’est par l’idée révolutionnaire (l’instinct de la foule). Avec une admiration mêlée de regret, Nietzsche n’en tient pas moins Chamfort pour le plus spirituel des révolutionnaires et, à cause de cela, pour le principal responsable de la séduction exercée par la Révolution sur les esprits français et européens.

« […] il y avait en lui un instinct qui était plus fort que sa sagesse et que rien n’avait apaisé : la haine de la noblesse de race. […] S’il était demeuré plus philosophe d’un degré, la révolution aurait perdu son esprit, sa pointe tragique, son aiguillon le plus acéré : elle serait considérée comme un événement bien plus bête et séduirait moins les esprits. » (Le Gai savoir, § 95, trad. d’A. Vialatte)

Même de son cher Voltaire, incarnation même du bel esprit français, il n’en dit pas autant. Mais il est vrai, et Nietzsche l’a compris, Voltaire n’eût pas été révolutionnaire.

dimanche, 02 octobre 2005

Le moraliste et la morale

Le moraliste s'attaque moins à la vérité de la morale qu'à la morale de la vérité.

11:30 Publié dans Faux-semblants | Lien permanent | Tags : moralistes, sentences

lundi, 12 septembre 2005

Les bonheurs imaginaires ou présumés

Selon La Rochefoucauld, « On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine. » Balzac, semblant lui répondre, dit presque la même chose : « Nous ne sommes jamais ni si malheureux, ni si heureux qu’on le dit. » Balzac est moins fin que La Rochefoucauld, mais les deux ont raison. En matière de bonheur comme de malheur, la rumeur se trompe comme l’imagination.