lundi, 30 janvier 2023
La Phénoménologie de l'angoisse dans L'Eclipse d'Antonioni
Dès le générique, le ton est donné : une chanson légère au rythme endiablé des années 1960 cède la place à une musique atonale évoquant un carambolage. La discordance se poursuit en images : une longue scène silencieuse, de rupture en vérité, tout juste émaillée de quelques mots, se clôt par l’ouverture d’un rideau sur un château d'eau en forme de champignon atomique. L’étrangeté surgit après la banalité.
Le grand plasticien qu'est Antonioni fait de la philosophie en images dans un esprit assez proche de la phénoménologie, avec des regards ou des gestes plus qu'avec des mots. Mais son goût pour la peinture donne un traitement particulier du décor urbain qui tourne parfois à l'abstraction. Ainsi y a-t-il comme du Nicolas de Staël dans des plans cadrés sur des angles ou des pointes d’immeubles modernes.
Tout le film joue sur un perpétuel va-et-vient entre la quotidienneté absurde et néanmoins rassurante de la vie sociale et une angoisse sourde, profonde, de l'humanité, à la fois individuelle et collective. Depuis le Krach à la bourse de Rome jusqu’au risque de guerre atomique annoncé en caractères gras par L'Espresso, une menace plane sur un monde en crise qui est celle de l'anéantissement total.
00:14 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : antonioni, nicolas de staël
vendredi, 20 janvier 2023
La fin d'une grammaire commune
L'écriture dite « inclusive » repose fondamentalement sur une confusion du sexe et du genre grammatical. Celle-ci est entretenue par l'usage du mot « genre » dans le sens de « gender » qui est un effet de l'américanisation des esprits et qui fait désormais de la langue un enjeu idéologique. Et avec l'idéologie (l'histoire du XXe siècle l'a montré), il n'est pas de limite à la manipulation des mots et à la déformation de la langue.
A la différence d'autres précédents historiques, l'écriture inclusive n'est certes que la forme transgressive d'une grammaire alternative, mais avec tout de même ce résultat paradoxal (pour la prétendue inclusion) et désastreux (en pratique) qui est la fin d'une grammaire commune. Lorsque l'idéologie s'empare de la langue, la grammaire devient folle.
10:30 Publié dans Jeu de massacre | Lien permanent
mercredi, 04 janvier 2023
Une pensée pour Albert Camus
Que ce soit dans sa vie d’homme ou son œuvre d’écrivain, il est bien des idées, des images ou des leçons à retenir de lui. Un mot, pourtant, pourrait le résumer, c’est celui de gratitude. Au lieu de se laisser envahir par le ressentiment, Camus n’a jamais manqué une occasion de se montrer reconnaissant.
La reconnaissance, on la trouve au cœur de son œuvre où il rend hommage à ceux qui l’ont inspiré comme Jean Grenier (son ancien professeur de philosophie) dans L’Envers et l’Endroit, Kafka dans Le Mythe de Sisyphe ou encore Dostoïevski dans L’Homme révolté.
La reconnaissance, on la trouve aussi et surtout dans sa vie où, à des moments tout à fait essentiels sur le chemin de sa propre reconnaissance, il a cité ou mentionné tour à tour Gide, Malraux ou Montherlant.
La réception du Nobel de littérature fut, comme chacun sait, l’occasion de la gratitude exprimée à l’endroit de son ancien instituteur, Monsieur Germain, dans une lettre devenue fameuse par sa bouleversante simplicité, qui devrait être lue rituellement dans toutes les écoles de France.
Et que nous a laissé Camus après sa mort sinon le plus beau témoignage de reconnaissance qui soit, à l’égard d’un père, son propre père mort au champ d’honneur en 1914, dans ce roman posthume et désormais central parmi ses œuvres qu’est Le Premier Homme.
Au demeurant, s’il est un message à retenir de Camus, c’est celui qu’il a délivré dans son discours de Stockholm en 1957 et qui, avec l’évolution du monde (il faudrait plutôt parler de sa dégradation), est devenu comme un impératif moral pour toute l’humanité :
« Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. »
Cette tâche dont parlait Camus est peut-être la plus belle expression de ce sentiment de gratitude qu’il se devait d’avoir, non seulement envers ses maîtres ou ses devanciers, mais aussi envers le monde qui l’a vu naître.
01:02 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : camus, dostoïevski, kafka, malraux, montherlant