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vendredi, 27 janvier 2006

L'Abbé Mugnier ou la Mémoire des lettres

L’abbé Mugnier est surtout connu pour avoir converti Huysmans au catholicisme. La première chose que nous apprend son journal, c’est que l’auteur d’En route s’est converti tout seul ; il a même choisi une voie traditionaliste, rigoriste, intransigeante qui ne fut pas du goût de l’abbé. C’est l’étonnante confession d’un homme d’église qu’on aurait pu croire réactionnaire et qui se révélerait presque progressiste.

Certes, il fréquente les salons, les nobles dames, la haute société de son temps. C’est là que l’« aumônier général de nos lettres » (la formule est de Maurras) rencontre les écrivains qui comptent, et les plus grands défilent dans son journal. Mais il peut avoir la plume cruelle lorsqu’il évoque ces gens du monde qui « consacrent le vide et l’ennui, et l’inertie en mettant sur tout cela l’étiquette divine. »

Ses mots les plus durs, il les réserve aux figures d’une droite nationaliste qui, sous le seul rapport de la morale, lui paraît à l’opposé du christianisme. A Maurras et Daudet (Léon), il reproche l’outrance, la manie de l’insulte, l’invective de système  ;  à Barrès, qui reste pour lui un modèle d'écrivain, son bellicisme sans nuances pendant la Grande Guerre. Le nationalisme intégral, le parti de la guerre, tout cela le heurte profondément. Il en viendrait même à regretter d’avoir été catholique trop tôt, par le milieu, et de n’avoir pas eu, comme Péguy, une jeunesse socialiste.

Que l'on se rassure néanmoins : l’abbé Mugnier parle de la gauche avec la magnanimité qu’on peut avoir pour un adversaire. Tout modéré qu’il soit, il reste attaché à un milieu conservateur qu’il esquinte sans le quitter. Au fond, il est trop mélancolique pour être progressiste. Chateaubriand est son dieu pour les lettres. L’abbé lui consacre les plus belles pages de son journal. Le lecteur fervent, qui à l’occasion se fait pèlerin à Combourg, peut se faire aussi métahistorien des lettres : « Chateaubriand a prolongé le crépuscule des dieux, il a retardé le lever définitif de la raison en faisant raconter à la lune son grand secret de mélancolie […]. »

Aucun écrivain n’égale pour lui l'auteur des Mémoires d'outre-tombe. Il peut avoir pour ses contemporains de l’affection, de l’amitié même, plus rarement de l’admiration. Même son admiration n’est jamais pure, jamais entière - mais peut-on admirer complètement les gens qu'on fréquente ? Proust reste insaisissable, Mauriac impénétrable, Maritain trop intellectuel. Drieu est seulement aimable ; Montherlant ne l'est même pas. Valéry apparaît comme un oracle de salon. Quant à Cocteau, il a beau avoir tous les talents, a-t-il seulement du génie ?

Comme on le voit, l’abbé Mugnier n’est pas un esprit bonasse, il a de la fermeté d'âme et de jugement ; mais il reste un petit Saint-Simon en soutane qui, tout en jugeant sévèrement les écrivains de son temps, vend ses indulgences aux dames du monde.

12:05 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : chateaubriand