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samedi, 22 novembre 2025

Les Boussoles piquantes de Judrin

Il est des auteurs qui sont des phares pour l'humanité – ou du moins y prétendent-ils. Il en est d'autres qui peuvent être – plus modestement – des balises ou des boussoles pour l'esprit.

Voici un auteur qui appartient à la seconde catégorie et qui – c’est à parier – ne dira rien à la majorité des visiteurs de cette page : Roger Judrin (1909-2000).

Le présent billet a précisément pour objet de faire découvrir cet écrivain, critique et poète, fin connaisseur du Grand Siècle, à travers un recueil d'aphorismes et de portraits paru en 1976 aux éditions de La Table ronde et réédité en 1995 dans la petite Vermillon : Boussoles.

En vérité, il y a deux recueils en un dont les titres respectifs, mi-ironiques, mi-poétiques, donnent le ton de l'ensemble : « Dents de sagesse » et « Encre sur encre ». Deux recueils donc, devenus chapitres par la réunion en un seul volume, et qui font au moins deux boussoles.

La première boussole peut servir à bien mener sa vie, mais aussi à cultiver la vraie vertu, car Judrin qui est aussi moraliste, même s'il ne se revendique pas comme tel, propose au lecteur une suite de fragments qui sont autant de réflexions ou de sentences morales, toutefois plus proches de La Bruyère que de La Rochefoucauld.

Ainsi sur le rôle du hasard : « Le hasard et l’occasion n’inspirent un artiste que s’il a travaillé afin d’être prêt. » ; sur la bonne sagesse en regard de la philosophie : « La sagesse naît vieille, et la sagesse ne vieillit point. Les atomes d’Epicure ne sont plus les nôtres. » ; sur la toute-puissance de la machine : « On avait fait de Dieu un horloger ; on en fait maintenant une horloge. »

La seconde boussole permet de s'orienter dans l'histoire de la littérature, avec des détours du côté de la philosophie ou de la politique. En effet, Judrin promène son lecteur dans une galerie de portraits dessinés à la pointe fine et néanmoins cruelle, jouant ainsi, dans un style qui rappelle Saint-Simon parfois, au mémorialiste des lettres anciennes et modernes.

Quelques aperçus pour le plaisir du visiteur, sur Beaumarchais : « Il danse la gavotte sur un échafaud. » ; sur Chamfort : « Il n’y a là du lingot que la petite monnaie, mais elle est d’or, et le marché est bon. » ; sur Montherlant : « Il pique et il pince comme Stendhal, mais il rossignole comme Chateaubriand. »

Pour finir, il faut dire aussi que ce livre implacable et brillant ne doit pas dispenser le lecteur de lire d'autres œuvres du même auteur, peut-être plus singulières ou secrètes, comme Printemps d'hiver ou Dépouille d'un serpent. Roger Judrin est un écrivain sans genre de prédilection, dont la rareté fait le prix.

12:39 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : judrin, moralistes