samedi, 12 juillet 2008
Exégèse du Décalogue de Kieslowski
Dans Le Décalogue de Krzysztof Kieslowski, aucun commandement n’est réfuté ; tous sont confirmés. La violation d’un commandement se paie toujours d’un malheur. Le réalisateur semble croire à la vérité, à la nécessité du décalogue ; mais cette foi n’est pas forcément une foi en Dieu.
Dans le monde de Kieslowski, Dieu n’apparaît pas : il est caché ou il n’existe pas. Il peut y avoir un décalogue sans Dieu. Mais est-ce vraiment le cas ? Il y a des signes, sinon des preuves, d’un autre ordre de réalité. Celui-ci est figuré par un personnage muet qui apparaît dans presque tous les films du cycle. Peut-être est-ce un ange, qui tantôt avertit (Décalogue 5), tantôt constate (Décalogue 9).
En l’absence d'un Dieu visible, ce personnage semble être le seul intercesseur entre l’homme et le divin – et non seulement entre le spectateur et le réalisateur, puisqu’il lui arrive même de se tourner vers l’œil de la caméra (Décalogue 1). Il est d’ailleurs bien d’autres personnages mais aussi des objets qui font signe et qui donnent à croire à autre chose qu’à la réalité positive. Kieslowski moraliste, sinon chrétien, est évidemment un faux réaliste.
Décalogue 1 : Un seul Dieu tu adoreras. La raison humaine, scientifique est démentie par les faits, infirmée par la fatalité, comme désavouée par Dieu. La mort d’un enfant est la sanction.
Décalogue 2 : Tu ne commettras point de parjure. Qui commet le parjure ? La femme qui trompe le mari ou le médecin qui trompe peut-être la femme ? Le pronostic du médecin sur la maladie du mari est démenti par les faits : une fois encore, la raison humaine est mise en échec. Et la morale triomphe puisqu’il n’y a pas d’avortement.
Décalogue 3 : Tu respecteras le jour du Seigneur. Un couple irrégulier qui ne l’observe pas frôle la mort. Mais il se met à l’observer et se sauve grâce à cela. C’est encore une victoire de la morale, mais d’une morale raisonnable – et non forcément religieuse – ici.
Décalogue 4 : Tu honoreras ton père et ta mère. La tentation de l’inceste entre un père et sa fille, une tentation réciproque encouragée par le doute sur la filiation. Mais le père résiste et la vieille morale universelle est sauve.
Décalogue 5 : Tu ne tueras point. Le commandement s’adresse à tous, bien que le mal soit partout. La victime ne vaut guère mieux que le meurtrier, et la justice est aussi impitoyable que le meurtrier. L’illustration est ici militante, le plaidoyer contre la peine de mort évident.
Décalogue 6 : Tu ne seras pas luxurieux. Un jeune homme qui observe les ébats nocturnes d’une femme s’éprend d’elle. Celle-ci l’apprend, en joue et s’offre au voyeur. Mais la luxure rend l’amour impossible. La pécheresse devient malheureuse et le jeune voyeur, dans son innocence, est rédempté par sa tentative de suicide avortée.
Décalogue 7 : Tu ne voleras pas. Qui vole ? La voleuse d’enfant n’est pas celle que l’on croit. La mère putative est volée de son enfant par la vraie mère. Mais celle-ci doit le rendre : elle ne devait pas enlever l’enfant, même pour le reprendre. Le commandement, appliqué à la lettre, conduit ici à une forme d’injustice.
Décalogue 8 : Tu ne mentiras pas. Le refus du mensonge a failli envoyer une jeune juive à la mort pendant la Guerre. Mais le refus était-il sincère ? Le Bien a finalement triomphé parce que la petite fille a été sauvée. Le commandement apparemment est sauf.
Décalogue 9 : Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui. La convoitée est aussi coupable que le convoiteur : la femme a pris un amant pour se consoler d’avoir un mari impuissant. L’amant est finalement éconduit, mais le mari manque de se tuer. La femme rend grâce à Dieu.
Décalogue 10 : Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui. Tout le monde convoite le bien d’un défunt – une collection de timbres de prix. Ses fils, non moins avides que les autres, mais plus maladroits, se la font voler. L’un d’eux s’est fait enlever un rein dans l’espoir d’obtenir un autre timbre de prix en échange. Il ne leur reste plus que ce timbre et, après une trahison, l’amour retrouvé entre frères qui n’a pas de prix.
22:29 Publié dans Kino | Lien permanent | Tags : kieslowski