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mercredi, 31 mai 2006

Klimt vu par Ruiz

Le cinéma de Ruiz s’adresse à des initiés. Nul didactisme chez lui, ni volonté d’édification. Pas plus que Le Temps retrouvé n’était une adaptation de Proust, Klimt n’est une biographie filmée. Tout juste peut-on parler d’évocation, d’une époque tout autant que d’un peintre. Le terme qui convient le mieux est encore celui de rêverie. Une rêverie autour de Klimt.

Le film s’ouvre, au son d’une fausse musique de Mahler, sur un tableau du peintre représentant une femme du monde dans une attitude hiératique. Le portrait tourne sur lui-même comme pour annoncer le délire d’un Klimt agonisant dans sa chambre d’hôpital, à la fin de la Grande Guerre. Avec à son chevet, un Schiele dévot, pervers, presque aussi délirant que lui.

Klimt, mieux qu’un chapelet de ressouvenirs, est une suite de souvenirs rêvés, où tout s’ordonne selon la logique mêlée de la mémoire et du rêve. Les faits réels se recomposent par association d’images et d’idées. La peinture de Klimt renvoie au cinéma de Méliès, les modèles aux actrices, Vienne à Paris. Une dame parisienne à l’identité incertaine fait le lien entre les deux capitales, unifie la vie du peintre et la liberté du cinéaste. Ruiz accorde l’érotisme klimtien avec ses propres représentations de la libido, déjà révélées par Généalogies d’un crime.

A côté des alcôves agencées dans le style 1900, l’atelier du peintre comme il se doit occupe une place centrale, où les détails authentiques, connus par la photographie, se joignent à des éléments imaginaires comme la pluie de feuilles d’or provoquée par un claquement de porte. Les femmes y défilent, des modèles surtout, devenues pour certaines des maîtresses entretenues, dans une ronde étourdissante de chairs et de toilettes qui ne doit pas qu’à l’imagination du réalisateur.

Le charme néanmoins n’agit pas toujours. Discutable est le choix, motivé par un symbolisme trop explicite, d’un café viennois plus rêvé que reconstitué, où Klimt côtoie quelques figures emblématiques de la modernité viennoise (une contre-modernité en vérité). Le café, lieu névralgique s’il en est de la « Vienne 1900 », apparaît comme un théâtre d’images où le cliché voisine avec la scène symbolique. Des noms, aux pouvoirs censément magiques, y sont lancés sans retenue ni mesure. Le procédé consistant à associer des noms secondaires (Bahr, Moritz) à quelques noms phares (Loos, Wittgenstein) n’atténue pas l’impression de mauvaise représentation.

Fort heureusement, le sourire interrompt l'ennui qui, à de certains moments, envahit le spectateur. Le film est près de la farce lorsqu'il a pour cadre l'hôpital ou le café. Le personnage de Klimt est drôle quand il tourne en dérision la xénophobie d'une maîtresse juive, et la scène où éclate, après un repas convenu, la folie de sa mère et de sa soeur est irrésistible. Plaisante aussi est la trouvaille de ce personnage de fonctionnaire entremetteur qui suit le peintre à la trace, comme une ombre détachée de lui-même - Ruiz a lu les romantiques allemands.

A l’extrême fin, le symbolisme parfois pesant du film atteint à une forme de grâce naïve lorsqu’une petite fille doit accompagner le peintre vers la mort. Mais que reste-t-il de Klimt ? Sa manière a été à peine montrée, et son âme tout juste effleurée. Ruiz a fait un beau film, plastiquement remarquable, sans être allé aussi loin dans l’étude d’un grand peintre que le Van Gogh de Pialat ou même (un comble !) le Pollock de Harris.

23:15 Publié dans Kino | Lien permanent