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mercredi, 28 septembre 2022

Vérités et légendes sur Roger Nimier

Hussard, Nimier le fut vraiment, comme jeune engagé au deuxième régiment de hussards à la fin de la Guerre. Littérairement, il le fut au moins pour un roman, son deuxième : Le Hussard bleu. C’est à ce roman mais surtout à un article de Bernard Frank paru dans Les Temps modernes en 1952 qu’il dut sa promotion d’officier à la tête d’un groupe d’écrivains baptisés par dérision « Hussards », en raison de leurs dons pour la hardiesse et la désinvolture. Pourtant, le groupe n’a jamais existé que dans l’esprit de quelques critiques ou admirateurs et non dans celui des intéressés. Michel Déon a écrit – dans Bagages pour Vancouver – des choses définitives à ce sujet.

Orphelin de père, Nimier était un enfant triste qui ne cessa de se chercher un père en littérature. Après avoir invoqué les mânes du respectable Bernanos, il se choisit d’autres pères parmi les proscrits de la littérature d’après-guerre : Céline, Morand et surtout Chardonne. Ce dernier fut pour lui un maître d’école et lui-même joua volontiers à l’élève obéissant. Ainsi lorsque le vieux maître lui recommanda un silence romanesque de dix ans, le jeune prodige qui avait tout juste vingt-huit ans et déjà publié quatre romans prit la recommandation comme un commandement et s’exécuta. Il commença alors à se disperser, entre la presse et le cinéma, même si, avant la fin de la période de dix ans, il écrivit en cachette un roman inspiré de Dumas (D’Artagnan amoureux). L’insolent avait repris le dessus sur l’enfant sage.

Il se rêvait pourtant philosophe jusqu’à vouloir rivaliser avec Camus et même Sartre. Un prix au concours général et un passage par les bancs de la Sorbonne le confortaient dans ses ambitions. Son œuvre est parsemée de références à la philosophie : Amour et néant, L’Elève d’Aristote ou Traité d’indifférence. Ce dernier texte le rangerait sans contredit dans la catégorie des stoïciens ; mais c’est bien du côté de l’existentialisme qu’il lorgnait : son tout premier roman, L’Etrangère, qui a été publié six ans après sa mort, porte un titre camusien et est dédicacé à Sartre. Sans doute la dédicace était-elle ironique. Malgré tout, René Girard eût pu voir en Nimier un rival mimétique de l’auteur de L’Etre et le Néant.

Nimier devait peut-être à ses chères études le sérieux dont il faisait montre dans ses articles critiques. Il le cultivait toutefois pour la littérature plus que pour le théâtre, au sujet duquel il se laissait aller à une fantaisie cruelle et souvent injuste. Ainsi transforma-t-il en jeu de massacre la chronique théâtrale qu’il tint dans Opéra ou Le Nouveau Candide pour se désennuyer de son abstinence romanesque. A contrario, il n’avait pour la critique littéraire qu’une seule boussole qui était la rigueur classique et dont le pôle magnétique se situait quelque part entre le duc de Saint-Simon, le cardinal de Retz et Stendhal. Chacun de ses articles sentait un peu la (très bonne) copie de khâgneux.

Réactionnaire en littérature, il était moderniste pour le cinéma. Il collabora avec la fine fleur du nouveau cinéma français entre les années cinquante et le début des années soixante : Astruc, Becker et Malle. Comble de modernisme, il écrivit l’épisode français des Vaincus d’Antonioni. Il se trouva donc – encore – dans les parages de l’existentialisme, si l’on veut bien considérer le réalisateur italien comme le meilleur représentant de ce courant au cinéma. Il faut noter également que Louis Malle dut à Nimier l’idée d’adapter Le Feu follet de Drieu La Rochelle, ce qu’il se garda bien de dire par la suite. Il est des réussites qui ne se partagent pas, et la mort d’un ami peut rendre l’ingratitude plus facile.

Nimier n’était pas le jeune homme en pleine santé que l’on imagine : son cœur était affligé d’une anomalie de naissance. Il la gardait secrète, peut-être pour que l’on n’y vît pas la raison profonde de son supposé manque de cœur. La faiblesse de cœur – la vraie – fut révélée à Morand lorsque Nimier fit un malaise cardiaque dans la maison-refuge de Vevey, au-dessus du lac Léman. Chardonne apprit cet épisode par téléphone et commença de s’inquiéter pour l’avenir de son petit protégé. Nimier eût-il pu vivre longtemps avec un cœur fragile, incompatible avec une vie menée à toute allure, entre son goût pour les belles voitures et la multiplication de ses productions éditoriales ?

Il était un fou du volant, à quoi il faudrait ajouter un buveur impénitent, puisque les deux pouvaient aller ensemble. La beuverie était pour lui une manière d’entretenir l’amitié et de noyer une secrète amertume touchant aux choses de l’amour. Si tout lui réussissait, son mariage ne le rendait pas heureux. Nul ne sait s’il était à jeun lorsqu’il trouva la mort au volant de son Aston Martin le 28 septembre 1962 sur la route de La Celle-Saint-Cloud ; on sait seulement qu’il mourut auprès de sa muse du moment, Sunsiaré de Larcône. Ne se résignant pas à la mort de leur ami, Blondin et Dupré accusèrent cette dernière d’avoir tenu le volant de l’Aston Martin. Mais une autre hypothèse mérite plus d’attention : comme il avait déjà imaginé un suicide en voiture pour le Malentraide des Enfants tristes, il n’est pas interdit de penser que Nimier ait prémédité sa mort. Il n’avait pas encore trente-sept ans.

10:39 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : nimier

jeudi, 22 septembre 2022

In memoriam Jean-René Huguenin

Il y a soixante ans disparaissait un des écrivains les plus doués de sa génération. Il avait vingt-six ans et une œuvre plus qu’embryonnaire à son actif.

Il a laissé un roman fort (La Côte sauvage), un journal captivant (préfacé par Mauriac) et de nombreux articles piquants (parus notamment dans la revue Tel Quel).

Il aurait pu être le d’Artagnan d’un groupe de mousquetaires qui comprenait également Hallier, Matignon et Sollers, s’il n’avait commencé à prendre ses distances vis-à-vis d’eux et finalement quitté leur revue commune. Il était trop libre et singulier pour appartenir à une coterie littéraire.

Il n’admirait guère ses contemporains, mais il était plus exigeant avec lui-même qu’avec les autres. Il  ne s’épargnait pas, ni ne s’économisait, refusant l’abandon ou la facilité. Il recherchait l’intensité dans sa vie comme dans son écriture.

Le destin eût pu lui offrir une mort glorieuse ; mais Huguenin n’a eu droit qu’à une mort presque ordinaire au volant d’une voiture rapide sur une route de campagne, non loin de Rambouillet. Ainsi mouraient les écrivains modernes.

Dans la mort, il a suivi Camus de vingt et un mois et précédé Nimier de six jours. 

11:46 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : huguenin