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mardi, 08 juin 2010

Munch ou l'angoisse de vivre sublimée en art

Edvard Munch est né sous le signe du malheur. Il a grandi et vécu dans une grande proximité avec la maladie et la mort, qui n'ont cessé de frapper, après sa mère et sa sœur, tous ses proches. En lui, Eros luttait perpétuellement avec Thanatos, mais c'est l'instinct de mort qui l'emportait à chaque fin de cycle de sa vie, en laissant l'artiste toujours plus seul et angoissé que jamais.

Parmi les premiers tableaux exposés à La Pinacothèque, le bien connu Enfant malade (1886) donne le ton d'une œuvre dominée par l'angoisse de vivre. Mais celle-ci se trouve aussi dans La Femme au chapeau rouge sur le fjord (1891), un portrait de femme tout de bleu vêtue peint en pied sur deux fonds hachurés et superposés. On sent en cette femme aux mains nerveusement jointes un chagrin ou un tourment qui reflète celui du peintre lui-même. Sans doute est-ce la raison pour laquelle l’érotisme qui entoure généralement ses représentations de la femme - comme dans la série de la Madone (1895) - n'est guère présent ici.

Les années 1890 correspondent assez bien à la définition donnée par Strinberg de l’œuvre de Munch : « la peinture érotique de l’amour, de la jalousie, de la mort et le tristesse ». C’est tout cela qui se retrouve dans d’autres œuvres fortes comme Les Solitaires, qui représente un couple de dos face à la mer, ou La Jalousie, où un homme seul regarde d’un air désespéré le spectateur en tournant le dos à une femme enlacée avec un autre homme. Le clou de cette période sombre où Munch utilise essentiellement le noir et blanc est l’Autoportrait au squelette, où l’on voit une tête cadavérique émerger d’un fond noir comme du néant.

La couleur revient dans les années 1900 avec la technique de la surimpression sur gravure. L’univers de Munch s’égaie par l’apparition d’enfants et de baigneurs. Tout d’un coup, on croit être en présence d’une peinture fauve se situant entre Matisse et Vlaminck. Le thème de la solitude ne disparaît pas pour autant, figuré par un personnage debout au milieu d’un groupe d’enfants assis au bord de la mer. Il se retrouve dans La Femme qui, à travers trois femmes, représente les trois âges de la vie ou de l’amour : le romantisme, l’érotisme et le spiritualisme. Dans la même veine, s’inscrit La Danse de la vie, une danse à trois temps (la jeune promise, la femme mariée et la femme seule) qui dissimule à peine son caractère macabre.

A la même période appartient une belle série de lithographies sur l’alpha et l’oméga, correspondant à Adam et Eve. Munch réconcilie néanmoins la référence biblique avec le paganisme, comme dans La Forêt où le couple mythique entre dans une forêt comme dans une chambre noire. Dans Le Sevrage, la femme allongée joue avec le serpent tandis que l’homme assis demeure figé, les poings sous le menton, dans une attitude boudeuse. Mais en définitive, la femme n’est pas mieux lotie que l’homme : la descendance d’Omega ressemble à un groupe de petits singes. Et c’est au désespoir qu’est condamné l’Adam d’après la Chute, désormais seul et nu, se tenant le visage entre les mains dans un paysage tourbillonnant.

Les années 1910 ne sont pas les plus sombres pour Munch : il peint la vie dans des couleurs pastel et, au milieu de la Grande Guerre, une jolie série de nus. Mais la fin de la guerre constitue un nouveau tournant avec l’épidémie de la grippe espagnole qui frappe le peintre. Il fait son Autoportrait à la grippe espagnole dans lequel il cherche à faire sentir l’odeur du pourrissement. Il rejoint Derain dans la manière de concevoir la peinture comme une matière à part entière. Suit une série de portraits en pied qui n’appartient au classicisme que par le genre. Plus significativement encore, Munch donne dans les années 1920-30 d’intéressantes variations sur la mélancolie qui ont manqué à l’exposition du Grand Palais.

Le thème de la mélancolie résume ou domine en fin de compte l'œuvre de Munch. Le peintre n'avait pas nécessairement le modèle de Dürer en tête ; c'est son esprit qui vivait sous l'emprise de ce qu'on n'appelait pas encore la dépression. La maladie était son tourment, mais elle lui était aussi un refuge contre les exigences et les déceptions de la vie sociale. Mieux que sa signature, elle fut le salut de son art.

22:04 Publié dans Beaux-arts | Lien permanent | Tags : mélancolie, munch