samedi, 06 août 2005
Pour Huguenin
Il n’est pas toujours bon pour un écrivain de mourir jeune. Il peut avoir du génie, la mort prématurée ne le met pas à l’abri des reproches. Jean-René Huguenin est le moins épargné des écrivains partis trop vite.
Son unique roman, La Côte sauvage ? Rien que l’amour platonique d’un jeune homme pour sa sœur. Un mélange de mièvrerie et d’ambiguïté comme il y en aurait trop, de Chateaubriand à Nimier, dans la littérature réputée de droite. Ben voyons ! Le charme de l’amertume, la force secrète qui se dégagent du livre, tout cela est bien vite oublié.
Son Journal, pourtant préfacé par Mauriac ? Les carnets d’un jeune homme plus noir que vert, cultivant des admirations droitières en littérature. Le mot parfois est lâché : un peu facho sur les bords. La belle affaire ! Il suffit d’aimer tout ensemble Nietzsche, Barrès, Péguy et Bernanos pour déjà être suspect. Pris séparément, cela peut se discuter.
Et la revue Tel quel ? Même la participation à cette manière d’avant-garde critique ne suffit pas à le sauver. Des lecteurs qui ont des préjugés contre la force lui font une méchante réputation par ce bouche-à-oreille qui compte autant pour les lettres que pour les arts, et qui fait le succès ou l’insuccès des œuvres.
Au fond, il est reproché à Huguenin de ne marcher qu’à des principes martiaux : la volonté, la force, la discipline. Ne sont-ce pas les principes de tous les grands écrivains ? Mais non ! Tout cela, même mis au service de la littérature, sentirait trop son idéologie fasciste. Huguenin peut bien être gaulliste, cela n’a pas d’importance. Huguenin peut bien fréquenter les églises, cela ne compte pas.
Evidemment les autres, les Claudel, Malraux ou Mauriac, ont des excuses. Certaines ambiguïtés de jeunesse ont été oubliées ou dépassées. Et puis, ils ont un nom, une réputation qu’on n’attaque pas. Pas de cette manière-là, en tout cas. Huguenin n’a pas ces protections. Sa jeunesse, au lieu de lui être un atout, lui est un handicap.
Après tout, le reproche de martialité en des temps de médiocrité triomphante n’est pas une infamie. L’oubli sans doute est préférable au malentendu. Mais le discrédit reste une injustice qu’il convient de réparer. Il revient à ceux qui l’aiment de dire qu’avec une œuvre courte et forte, brutalement interrompue dans son élan, Huguenin continue d’incarner une belle idée de la littérature au milieu du grand marasme.
18:55 Publié dans Lettres | Lien permanent | Tags : huguenin